lundi 21 décembre 2009

Le bulldozer chinois


Au XIX°, l’Angleterre a réussi à détruire à son profit l’industrie textile indienne , alors la première du monde, en combinant protectionnisme forcené à l’importation et libre échange agressif, au besoins soutenu par des canonnières, à l’exportation. En cinquante ans, l’Angleterre avait remplacé l’Inde comme première puissance textile mondiale. Elle devint ensuite la première puissance industrielle du monde.


Une vraie stratégie : le libre échange comme arme de guerre.


Deux cents ans plus tard, la Chine a remplacé l’Angleterre. Avec les mêmes résultats, à deux nuances près : inutile de nous envoyer des canonnières pour forcer l’ouverture des marchés, nous les ouvrons volontairement ; et ce n’est pas l’industrie asiatique qui est balayée au profit de l’occident mais…l’industrie occidentale qui est balayée au profit de l’Asie.


Capitalisant sur notre myopie, la Chine déploie avec ténacité et succès une stratégie redoutable :

· Elle a d’abord créé une immense industrie de la sous-traitance pour les entreprises multinationales occidentale. Grâce à ces multinationales du jouet, du textile, du sport, du luxe, ou de l’électronique grand public, la Chine a su devenir un exportateur majeur et à faire disparaître d’Occident la base industrielle de ces secteurs. La Chine a également permis a ces entreprises multinationales de bloquer les salaires des ouvriers occidentaux grâce à la menace de délocalisation. Ces grandes multinationales sont devenues ses alliés objectifs : elles ont augmenté leur profit sur les décombres de sous-traitants balayés par la délocalisation.


· En parallèle, la Chine a délibérément freiné les importations par un protectionnisme forcené mais masqué derrière des procédures bureaucratiques diverses. Parallèlement, elle a inventé la délocalisation à l’envers, en exportant massivement sa main d’œuvre à l’étranger pour tous les contrats de construction qu’elle a obtenu. Environ un million de travailleur chinois sous-payés travaillent en dehors de Chine. Elle a ainsi développé un excédent massif de sa balance commerciale lui permettant d’accumuler des réserves de change considérables.


· Elle a délibérément bloqué le retour à l’équilibre de da balance commerciale (selon Adam Smith un excédent de la balance commerciale se traduit par une appréciation de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies, qui permets faire disparaître l’excédent commercial), et ceci grâce à une sous-évaluation systématique et organisée du Yuan (de 50% environ aujourd’hui) . Cette sous-évaluation lui donne-non un avantage comparatif à la Adam Smith -mais un avantage absolu en termes de compétitivité mondiale.

· La Chine s’affranchit délibérément les règles du libre échange, sans que l’OMC ne proteste. L’OMC est ainsi faite qu’un lambeau de droit de douane de quelque % la rends hystérique tandis qu’elle reste de marbre devant une sous-évaluation systématique de plusieurs dizaines de % d’une monnaie. L’OMC, instrumentalisée par la Chine, a ainsi présidé à la destruction de l’industrie occidentale par les délocalisations.

· La Chine a récemment trouvé un nouveau moyen de faire dégringoler sa monnaie pour renforcer sa compétitivité à l’exportation: instrumentaliser ses réserves de change considérable en vendant des dollars- monnaie à laquelle le Yuan est vissé-pour faire chuter ce dernier- et donc le yuan- par rapport au yen ou à l’euro.

· La Chine profère systématiquement protestations et menaces au moindre embryon de protectionnisme à son égard (comme lorsqu’Obama a frappé de 35% de droits les pneus chinois), protestations qui sont reprises en écho par les sectaires du libre échange, comme The Economist. Les intégristes du libre-échange, en retard d’un siècle, sont ainsi eux devenus aussi les alliés objectifs de la Chine. En revanche, la Chine botte habilement en touche dès que des voix timides comme celles de Strauss-Kahn, le président du FMI, s’élèvent pour lui demander de réévaluer sa monnaie ou d’ouvrir son économie aux exportations des autres pays.

· La Chine force les entreprises occidentales cherchant à avoir accès au marché Chinois soit à s’implanter en Chine ou soit à céder leur technologie, soit les deux, comme dans le nucléaire, l’automobile, l’aéronautique, l’électronique. La aussi elle capitalise sur la myopie des gouvernements occidentaux, prompt à pousser leurs entreprises à toutes les concessions pour emporter de grands marchés et pouvoir se glorifier de « contrats du siècle ». C’est ainsi que le gouvernement français, soucieux de l’effet d’annonce de la vente d’avions ou de centrales nucléaires, n’a pas hésité à forcer les dirigeants d’Areva ou à Airbus, contre leur avis, à transférer de la technologie vers la Chine.

· La Chine investi massivement dans l’éducation et la recherche, clés de la compétitivité à long terme, notamment en envoyant des étudiants dans les plus grandes universités mondiales, la aussi aidée par ces même universités, qui considèrent que leur succès se mesure au nombre de ces étudiants Chinois, et qui font tout pour les attirer, eux qui demain renforceront encore la compétitivité déjà formidable de leur pays.

La Chine est en 2009 le premier producteur de voitures, d’acier, de jouets ou de ciment du monde, le premier pays du monde pour les réserves de change, elle consomme 50% du minerai de fer mondial, elle a réussi à croître de 8% en 2009 quand l’occident s’enfonçait dans la récession, la Chine rachète Volvo.

Certains commentateurs à courte vue, autres alliés objectifs de la Chine, s’accrochent à la croissance chinoise comme un pendu à sa corde en espérant qu’elle va « tirer » notre croissance. Au contraire, comme le montre sa prospérité pendant notre récession, elle contribue à nous empêcher de redémarrer en accentuant son avantage compétitif et en accélérant la chute de notre industrie. La Chine développe l’emploi chez elle en développant le chômage chez nous.

On peut prédire la suite : la Chine va devenir la première puissance économique mondiale sur les ruines de l’industrie occidentale : le jouet, le textile, les articles de sport, l’électronique grand public, seront suivis comme des dominos par l’automobile, la chimie, l’aéronautique, les équipements télécoms. Au nouvel Empire du Milieu la croissance et l’emploi. A l’occident la stagnation et le chômage.

Il faut craindre la Chine, mais elle n’est en revanche pas critiquable : elle a parfaitement raison de jouer son jeu avec un égoïsme pragmatique, guidée par son strict intérêt national. La Chine au XXI° siècle, comme l’Angleterre au XIX°, a une stratégie à long terme face à des pays sans stratégie comme la France ou les Etats-Unis. Elle a su instrumentaliser notre fanatisme libre échangiste (né en Angleterre au XIX° mais qui se retourne aujourd’hui contre l’occident), la confusion entre l’intérêt de quelques entreprises et l’intérêt général (Areva, Alstom, Citroën et Vuitton aiment la Chine…pour l’instant), notre aveuglement face à une stratégie pourtant lumineuse.

Sans empêcher la Chine de progresser, ce qui est bon pour tous si cette progression est raisonnable, peut-être faudrait-il éviter qu’elle le fasse sur les ruines de notre industrie et de nos services … Face à un joueur d’échec qui voit dix coups plus loin, il faut aussi voir dix coups plus loin pour ne pas perdre. Un protectionnisme très sévère vis-à-vis de la Chine, à l’échelon de grandes zones de libre échange comme l’Europe ou le Nafta peut nous permettre de résister au Tsunami. Surtout pas un protectionnisme national, comme pendant la crise de 1929, mais la combinaison d’un libre-échange intrazone et d’un protectionnisme régional.

Pour sortir de la crise de 2008 il faut renverser la tendance suicidaire des quinze dernières années : délocalisation, stagnation du pouvoir d’achat, chômage, déficits, et stratégie contre stratégie, transformer le bulldozer en charrue. Mais le sommet de Copenhague, ou l’égoïsme de la Chine, deuxième pollueur mondial, a triomphé de sa vision à long terme, laisse un espoir limité de ramener le géant à la raison.

1 commentaire:

Olivier Tchilinguirian a dit…

Bravo ! Brillante analyse du contexte actuel auquel nous pouvons ajouter les problèmes de société liés à l’immigration, au communautarisme et la radicalisation de nos populations. La « fourmilière » chinoise qui nous a permis jadis de nous enrichir à grande vitesse, s’est à présent transformée en géant dont la main qui est bien visible, nous pousse à œuvrer en son sens.
Il est clair que seule une réponse concertée entre la Nafta et l’Europe, sur le plan des échanges matériels et financiers peut entraver cette spirale qui mène peu à peu l’occident à sa perte…
Or cela ne sera possible que si les grandes entreprises occidentales élaborent leur stratégie économique à long terme et délaissent le modèle court-terme qui leur procure encore beaucoup de profits…