jeudi 26 mars 2009

L’entreprise doit elle être morale ?

La morale parle du bien et du mal, au-delà du légal ou de l’illégal. Barack Obama, Gordon Brown et Nicolas Sarkozy ont dénoncé ces entreprises prêtes à tout pour plus de profit et dont « l’immoralité » serait l’une des causes de la crise. Ils ont stigmatisé les bonus « légaux » d’AIG ou de la Société Générale.

A contrario, pour André Comte-Sponville, dans son livre « le capitalisme est-il moral ? », les entreprises ne peuvent ni ne doivent être morales. Elles sont amorales. L’entreprise ne doit se préoccuper que de maximiser son profit en respectant la légalité. C’est à la loi de fixer des normes, non à la morale.

Mais une entreprise n’est pas qu’une machine à profit. C’est une « personne morale » prenant de multiples décisions : recrutements ou licenciements, nouveaux produits, investissements, communication, rémunérations, prix etc. Certaines décisions, même légales, posent des questions de moralité. Par exemple une entreprise lançant sur le marché une nouvelle molécule dont elle connaît les effets secondaires dangereux. Une SSII qui ment délibérément sur les performances d’un système pour emporter un marché. Un monopole prédateur qui augmente ses prix pour gonfler sa rente. Une entreprise délocalisant massivement pour gagner quelques centièmes de marge. Une entreprise poussant des produits rendant les enfants obèses. Et des entreprises en quasi-faillite distribuant des milliards en bonus à leurs dirigeants.

Dans tous ces cas réels, contrairement à la thèse de Comte-Sponville, l’obsession du profit immédiat ou la cupidité conduisent à prendre des décisions immorales, même si elles sont légales. Le surendettement délibéré de ménages pauvres est légal, mais peu moral. Toutes ces entreprises « immorales » donnent des munitions aux détracteurs du capitalisme et détruisent la confiance dans l’économie de marché, créant une poudrière en période de crise. Les émeutes en Guadeloupe trouvent en partie leur origine dans « l’immoralité » de monopoles pratiquant des prix d’extorsion. Les entreprises « immorales » sont une malédiction non seulement pour leurs clients mais aussi pour le système de marché et pour les autres entreprises…

Et contrairement au point de vue de Comte-Sponville, la légalité à elle seule ne peut suffire à rétablir la moralité. Les grandes entreprises, du lobbysme à la corruption, parviennent à biaiser en leur faveur les lois ou leur mise en œuvre, comme l’ont démontré la loi sur la distribution en France au fond très favorables aux grands hypermarchés monopolistiques. Elles savent aussi biaiser en leur faveur les résultats de la recherche, comme l’AFSSA déclarant que les OGM-de Monsanto- sont inoffensives ou l’Académie de Médecine proclamant, par la voix d’un docteur généreusement financé par Bouygues, que les émetteurs portables n’ont aucune influence sur la santé, des résultats dans ces deux cas contraires à la majorité des recherches sérieuses. N’oublions pas que certains docteurs curieusement proches des cigarettiers ont dans les années 50 aux Etats-Unis proclamé que le cancer de poumon ne pouvait être lié à la cigarette.

Au-delà de la légalité, les entreprises devraient donc avoir intérêt à être morales.

Les entreprises perçues comme « immorales », comme Microsoft, Merckx, ou Monsanto, devraient être désignées du doigt par l’état. Quand le parlement américain menace de voter une loi permettant de récupérer fiscalement et légalement les bonus géants octroyés aux dirigeants fossoyeurs d’AIG, quand le secrétaire d’état à la consommation français fustige les distributeurs inflationnistes, quand Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde s’indignent des stocks options à prix de casse de la Société Générale, ils font comprendre que l’état et l’opinion toléreront de moins en moins l’immoralité des entreprises. Par ailleurs il est indispensable d’avoir des régulateurs musclés et non de connivence avec les régulés, comme trop souvent. Le régulateur européen s’indigne ainsi des pratiques monopolistiques de Microsoft ou des prix absurdes du roaming (appel d’un portable à l’étranger) ou des communications des fixes vers le mobile, et va tenter de mettre bon ordre à ces excès…

Les associations de consommateur, comme UFC Que Choisir, qui ont un rôle d’observation et de régulation indispensables, véritables statues du commandeur face aux entreprises immorales ou irresponsables, devraient être encouragées et appuyées. Le fait de détecter une immoralité liée à une offre (surpromesse sur la performance ou mensonge sur les inconvénients) peut en effet conduire les clients à se détourner de l’entreprise pour un concurrent performant et « moral », comme les FAI surfacturant leurs hot line malgré des délais très longs et une pertinence médiocre. Une loi sur la class action à la française devrait être rapidement votée, pour permettre à des groupes de clients floués ou contaminés par une entreprise de pouvoir l’attaquer collectivement alors qu’individuellement ils sont impuissants face aux moyens disproportionnés de l’entreprise « immorale ».

Enfin, les entreprises devraient réaliser que la morale et le profit ne sont pas divergents mais convergents. Les entreprises décentes avec leurs clients, leurs fournisseurs, leurs employés, leur environnement, comme Toyota, Essilor, Zara, ou Ikéa, démontrent que le capitalisme peut être « moral », et consolident leur pérennité grâce à une offre et à une image positive. Si Total avait aligné le prix de l’essence aux Antilles sur celui de la métropole, il aurait rejoint, au prix d’une éraflure sur ses résultats immédiats, le camp des entreprises morales … Peut-être un bon calcul, après tout, pour maximiser le profit…à long terme.