vendredi 28 novembre 2008

Crise : 2008 et 1929

Pour prévoir la durée et l’intensité de la récession qui s’annonce, les économistes ou les financiers sont inutiles. Ils ont prouvé leur incompétence : Patrick Artus, l’économiste de Natixis peu avare de sa parole dans la presse et à la radio, affirmait avec aplomb en avril 2008 : la crise est finie. Le même mois, le FMI affirmait : la menace de crise financière et économique a diminué. En mai 2008, le gouverneur de la banque d’Angleterre confirmait : une récession est improbable.

Prévoir la durée et l’intensité de la récession ne peut se faire qu’en analysant notre situation et en la comparant à la crise de 1929, à laquelle elle ressemble de façon étonnante, contrairement à ce que d’autres « experts » ont proclamé.

A l’été 1929, après sept ans de croissance ininterrompue, l’économie américaine commence à ralentir. Le cours des matières premières gonflé, le pouvoir d’achat de la classe moyenne en berne, des surinvestissements et des surstocks : les conditions du ralentissement sont réunies (cela vous rappelle peut être quelque chose….)

Parallèlement, en 1928 et 1929, dans une « orgie spéculative », pour reprendre l’expression de Galbraith, la bourse américaine avait connu une croissance fulgurante, déconnectée de la réalité économique et liée à des emprunts massifs pour acheter des actions, de la part de particuliers sûrs de s’enrichir et de nouvelles sociétés inventées pour l’occasion : les Investment Trust.

En octobre 1929, ayant atteint la limite de l’irrationnel, la bourse américaine baisse avec violence (comme en novembre 2008) et l’effet de levier se retourne contre les détenteurs d’actions, obligés de liquider leurs titres pour rembourser leurs dettes, créant ainsi une spirale infernale. Malgré quelques journées de rebond, comme fin octobre 1929 (+15% en deux jours, comme en novembre 2008), la bourse plie irrémédiablement. La récession et les mauvais résultats des entreprises vont continuer à la faire baisser jusqu’en 1932 où elle vaut le 1/5° de sa valeur 1929 : une baisse de plus de 80% !
Le début de la crise de 2008 ressemble à celle de 1929 : effondrement de la bourse, ralentissement de toutes les économies, entrée officielle en récession. La crise financière contribue à enclencher la récession, puis celle-ci se nourrit d’elle-même et au passage amplifie la crise financière. La crise de 1929 durera dix ans, verra le chômage monter à 25% de la population active, et l’économie se contracter d’1/3…Question : la crise de 2008 sera-t-elle aussi profonde et aussi longue que celle de 1929 ?

En 2008, le point favorable par rapport à 1929 est l’action des gouvernements et des banques centrales. En 1929, après une timide tentative de relance par Hoover (baisse d’impôts etc.) et une baisse des taux d’intérêts de 6 à 5% par le FED, les gouvernements ont accentué la crise en revenant à un strict équilibre budgétaire grâce à une forte contraction des dépenses publiques, et en adoptant des politiques protectionnistes au niveau national.

En 2008, en revanche, les gouvernements des Etats-Unis et des pays développés, après avoir massivement soutenu les banques victimes de leur avidité, injectent plus de deux mille milliards pour soutenir leurs économies, acceptant des déficits budgétaires abyssaux, pendant que les banques centrales baissent leurs taux directeurs à marche forcée. Cette politique agressive ne suffira pas à relancer une économie mondiale dont les fondamentaux sont viciés, pas plus qu’elle n’a permis de relancer l’économie japonaise dans les années 90, mais en 2008, au moins, les gouvernements n’accentuent pas la crise comme en 1929/1933.

En revanche, en 2008, l’interconnexion beaucoup plus forte des systèmes financiers et des économies mondiales pousse à l’aggravation de la crise. BNP a perdu plus de 500 millions d’euros à cause de la faillite de Lehmann. L’économie chinoise est en train de ralentir de façon brutale suite à la chute de la demande en Europe et aux Etats-Unis. La récession est mondiale et se nourrit d’elle-même au niveau mondial. Les ventes de voitures neuves ont chuté d’un tiers au Brésil ou en Russie…

Le deuxième point défavorable en 2008, par rapport à 1929, est l’ampleur de la crise systémique. En 1929, les spéculateurs détenteurs d’actions étaient à peine plus d’un million aux Etats-Unis. En 2008, ce sont par dizaines de millions que les Américains ou les Européens sont surendettés par les vautours du crédit immobilier, du crédit à la consommation et des cartes de crédits. En fait une immense bulle du crédit s’est formée qui a nourri la croissance des dix dernières années : cette bulle a éclaté. Un empilement colossal de dettes diffusées dans toute l’économie est en train de s’effondrer sous son propre poids. Et elle ne se traduit pas simplement par une baisse de la bourse, mais aussi et surtout par une baisse brutale de la consommation et de l’investissement.

Aux Etats-Unis comme en Europe, les ménages ne pouvant plus s’endetter pour consommer vont ralentir leurs achats de façon durable, d’autant que la montée du chômage, la baisse de valeur des actifs réels (immobiliers, bourse), les menaces sur les retraites et le blocage du pouvoir d’achat vont amplifier leur tendance à épargner. Le levier du crédit, va fonctionner en sens inverse, car le désendettement deviendra nécessaire, par remboursement ou faillite personnelle. Les ménages les plus fortunés, bénéficiaires de l’orgie spéculative, se retrouveront eux aussi brusquement confrontés à une baisse de leurs revenus : sale temps pour les produits de luxe, des villas aux yachts.

Les entreprises, confrontées à une baisse inéluctable de leur chiffre d’affaires, vont elles-mêmes réduire leurs investissements, garder leur cash, réduire leurs coûts, ce qui sonne le glas de sous traitants ou de fournisseurs faciles à rationner. De façon ultime elles licencieront leurs employés. Les banques, saignées par leurs provisions massives, obligées de reconstituer leurs ratios, faméliques de cash et allergiques aux risques, vont durcir leurs conditions de crédits et réduire leurs en-cours.

Ménages, entreprises, banques : la récession mondiale va se nourrir d’elle-même. Elle sera très probablement supérieure au -1 à +2% que prédisent les augures. La récession mondiale sera beaucoup plus profonde, certains secteurs comme l’automobile baissant de 20%. Quant à la bourse, rappelons qu’en 1996, Alan Greenspan parlait d’exubérance irrationnelle avec un Dow Jones à 6400. Il est aujourd’hui à plus de 8000. Le potentiel de baisse des bourses est encore d’un bon 1/3, voire plus…

Combien de temps durera la récession. Il est très aventureux de faire une prévision précise. Mais purger les excès de la bulle du crédit et de la croissance irrationnelle des dix dernières années ne peut se faire rapidement. La montée du chômage et les difficultés des entreprises en 2009 et 2010 (faillites probables d’entreprises majeures sauf soutien artificiel par les états) vont alimenter la récession qui se prolongera probablement jusqu’en 2012, malgré les plans d’intervention des états. La bourse et l’immobilier, atteints comme en 1929 par la décroissance de l’économie réelle, baisseront de façon inéluctable. Il faudra au minimum cinq ans pour émerger de la gueule de bois que nous avons tous, y compris la Chine et l’Inde, qui connaîtront eux aussi la croissance zéro voire la décroissance.

L’économie japonaise a connu dans les années 90 dix ans de stagnation et de déflation à la suite de l’explosion de la bulle immobilière : les déficits budgétaires massifs, les taux d’intérêts à zéro et les programmes de grand travaux n’ont pas permis de restaurer la confiance et la croissance.

Les acteurs économiques, ménages et entreprises, sont en effet rationnels dans leur volonté de repli, de ralentissement de leur consommation, de fuite vers le cash. C’est leur survie qui est en jeu. Les incantations ou les programmes gouvernementaux ne peuvent changer cet état de fait, elles ne peuvent obliger les acteurs économiques à être soudain irresponsables…Au fond, les acteurs de l’économie envoient un signal : nous voulons une nouvelle donne, une économie qui ne soit plus dopée et malsaine, un nouveau monde. La société de consommation et de crédit est moribonde sous sa forme actuelle.

Et après la crise ? Pour un temps du moins, les orgies spéculatives seront endiguées et « l’exubérance irrationnelle » sera remplacée par un calme lucide. Si nous trouvons la voie de la croissance quantitativement faible ou nulle, mais qualitativement forte, grâce à l’équilibre entre régulation et marché, et à la rigueur et l’intelligence dans les dépenses publiques, alors nous connaîtrons peut-être une nouvelle ère de prospérité, différente mais plus saine que la période que nous avons connu depuis dix ans. Ce n’est pas par hasard que les secteurs les plus porteurs sont les télécoms, les media, l’entertainment, internet : ils améliorent la vie de tous sans consommer massivement des ressources et sans coûter trop cher…

Mais entre temps les risques sont très importants.

L’intervention massive des gouvernements crée un nouveau spectre : celui de la faillite d’un état. L’Islande l’a frôlé. Les grands pays comme la France, l’Angleterre ou les Etats-Unis vont se surendetter massivement pour financer les déficits colossaux que leur politique de relance et leur laxisme budgétaire structurel vont créer. Quand la dette sera si gigantesque, même le pouvoir régalien de prélever l’impôt –sur des économies exsangues- ne sera plus suffisant pour payer les intérêts et rembourser la dette, et la faillite d’un état deviendra possible.

Parallèlement, la récession pourrait déclencher des mouvements sociaux très brutaux et déstabiliser aussi bien des pays développés que des pays émergents drogués de croissance, comme la Chine ou l’Inde. Ce n’est pas FD Roosevelt qui a sorti les Etats-Unis de la crise de 1929. C’est la seconde guerre mondiale.

Après cinq ans de récession probable, deux voies s’ouvriront à nous : le chemin de la croissance qualitative, intelligente et maîtrisée, ou celui du cataclysme brutal. Souhaitons que la sagesse des foules, indiscutable, qui nous mène vers la première voie, ne soit pas étouffée par l’aveuglement ou l’égoïsme des élites.

mercredi 19 novembre 2008

Crise et marchands de désespoir

Les fabricants d’armes sont des marchands de mort. Les opérateurs de loteries sont des marchands d’espoir. Les organismes de crédit à la consommation sont des marchands de désespoir.
La crise économique très dure que nous sommes en train de vivre a été déclenchée par des intermédiaires ou des banques poussant des ménages américains pauvres à emprunter pour acheter des biens immobiliers, en leur faisant miroiter des plus values futures et en repoussant à deux ou trois ans le paiement des intérêts ou le remboursement de la dette. C’est une crise du surendettement provoquée délibérément. La titrisation de ces « prêts pourris » ou subprimes a permis de diffuser le cancer dans le monde entier.
Alors que nous sommes officiellement entrés en récession, que la baisse du pouvoir d’achat se propage et que le spectre du chômage renaît, des organismes de crédit à la consommation, loin de tirer les leçons de la bulle des subprimes, cherchent au contraire à exploiter les difficultés des classes moyennes inférieures pour fabriquer des profits à court terme, recréant ainsi une bulle financière avec comme dommage collatéral le stress voire le désespoir de millions de ménages, dans toute l’Europe.
Que ce soit à travers des pop up sur Internet ou par mail, voir par des appels téléphoniques systématiques, les ménages sont agressés de propositions de prêts alléchantes des Cofidis, Cetelem ou autres Cofinoga. Il ne s’agit pas d’être à la disposition de ménages ayant une difficulté temporaire. Il s’agit d’un démarchage actif, voire agressif, poussant les ménages à s’endetter envers ces organismes à des taux quasi-usuraires.
J’ai par exemple reçu récemment un mailing de Cofinoga, filiale de crédit à la consommation d’une grand banque : « retirez des espèces avec votre Carte Cofinoga » (oui, mais ces retraits gonfleront votre dette), « faites vos achats avec votre carte et réglez en 2009 » , « bientôt Noël achetez malin » ( à crédit bien sûr),« demande financement express de 1000 euros » etc. Le tout à des taux d’intérêt généralement supérieurs à 20% !!!
J’imagine une femme seule avec un enfant ayant un total de crédit revolving sur différentes cartes de crédit de 20 000 euros (ces cartes se sont multipliées, notamment les cartes dites co-brandées, entre un organisme et une entreprise, la dernière en date étant celle de Total).
A 20% d’intérêt elle doit payer chaque mois 350 euros d’intérêt seul, sans parler du remboursement du principal. Si elle gagne 1500 euros net par mois, ce qui est dans la moyenne, et s’il il lui reste 700 euros par mois après avoir payé l’essentiel : loyer, transport, alimentation de base, la moitié de son revenu « discrétionnaire » ira payer des intérêts sur ses crédits.
Le crédit n’est pas mauvais en soi. Il permet d’avancer la consommation et donc la gratification dans le temps, par exemple lorsqu’on achète un téléviseur écran plat à crédit. Mais deux choses le pervertissent : pousser les consommateurs à l’utiliser de façon irresponsable, comme les subprimes ou les crédits à la consommation, et des taux d’intérêts quasi-usuraires (plus de 20%).
Les organismes de crédit à la consommation surfent sur les difficultés économiques en promettant une gratification immédiate tout en occultant la douleur future du paiement des intérêts et des remboursements. Au moindre retard, les relances deviennent brutales et surtout payantes, si bien que le ménage en difficultés s’enfonce de plus en plus dans un trou noir, désarmé face à des entreprises géantes capables de mobiliser huissiers et de financer des actions en justice. Les organismes de crédit donnent leurs créances à recouvrer à des officines payées à la commission sur les sommes recouvrées ou vendent même leurs créances à des sociétés spécialisées dans le recouvrement musclé, comme l’a montré une émission récente de la BBC qui s’attaque avec courage à des problèmes de société….
Les ménages que ces organismes ont poussé à se sur endetter basculent dans la dure réalité après un rêve bref. Le crédit à la consommation est en effet comme une drogue : un plaisir fugace, des séquelles pénibles et une accoutumance dramatique. Se débattant avec les relances des sociétés de recouvrements, jonglant pour payer intérêt ou principal, réempruntant pour payer les intérêts précédents, le ménage surendetté, même s’il arrive à payer (le taux de non-paiement est inférieur à 2%) vit un véritable calvaire, une pression et des difficultés permanentes, une vie d’angoisse et de privations…Les organismes de crédit à la consommation sont ainsi des marchands de désespoirs : si le taux de non remboursement est faible, le taux de désespoir est élevé et concerne potentiellement plusieurs millions de ménages (10%, 20%, 30% des emprunteurs ?).
La récession qui commence, en accusant les difficultés de millions de ménages, rendra encore plus séduisantes les sirènes des organismes de crédit, dont les profits seront à la mesure de la crise, et dont les dommages collatéraux exacerberont les effets de cette crise. Une augmentation du taux de défaut sera absorbable par leurs surprofits, qui ne seront en revanche pas pénalisés par le taux élevé de désespoir des ménages. Une interdiction formelle de démarchage et de publicité, et un plafond d’intérêt à une marge raisonnable au-delà du taux de base (aucun prêt ne devrait pouvoir être fait à plus de 10%) sont des remèdes possibles.

C’est l’intérêt de tous de réguler ces organismes de crédit à la consommation : trop d’inquiétude, de stress, ou de désespoir pourraient en effet transformer une crise économique en crise sociale.