jeudi 16 avril 2009

Le protectionnisme comme sortie de crise



N’en déplaise aux adeptes de la méthode Coué, qui saisissent le moindre bout d’indice pour clamer que nous sommes en train de sortir de la crise, la dépression de 2008 n’est pas prête de disparaître.
Et la remontée récente de la Bourse, comparable aux hoquets de 1932 ou 1933, ne prouve que la formidable irrationalité et le caractère panurgique de ce marché.

La dépression actuelle est la conséquence directe de l’ultra libre échangisme et de la mondialisation forcenée des vingt dernières années. Les activités industrielles et de services de pays occidentaux ont fuit vers des paradis sociaux à faible coût de main d’œuvre, fuite amplifiée par la politique de sous évaluation de leur monnaie de pays comme la Chine et par le dynamisme des multinationales, de Nike à Apple, jouant sur l’écart entre des prix de vente élevé et des coûts au rabais.

Cette fuite liée à la mondialisation a eu deux conséquences. La première est de pousser à la hausse les taux de chômage. La deuxième de bloquer brutalement la croissance du pouvoir d’achat qui avait nourri la croissance des années 70 et 80.

Le surendettement des ménages et des entreprises occidentales n’est pas la cause directe de la dépression. C’est la solution qu’ont trouvé les états et les banques centrales, avec la complicité intéressée des banques privées, pour maintenir la consommation en l’absence de gain de pouvoir d’achat. « Vous êtes mal payé ? Mais empruntez donc, pour vous acheter maison, voiture, écran plat, voyage. En empruntant vous faites votre devoir de citoyen, car vous relancer l’économie. Allez y les petits gars ».

La concurrence des nouveaux pays industrialisés bloque le pouvoir d’achat des pays développés, mais comme il leur faut un débouché pour leur production, et que nous sommes des drogués de la fuite en avant que permets la croissance, nous incitons vigoureusement les ménages des pays occidentaux à s’endetter pour consommer. Les banques ont prospéré de façon inouïe dans les vingt dernières années car elles étaient les prêteuses folles qui nourrissaient la croissance.

Mais cette fuite en avant par le surendettement a sa limite, car les dettes ne montent pas au ciel. Quant la limite est atteinte le système claque. C’est ce qui est arrivé en 2008.

Pour que le système reparte sur des bases saines, il faut bien sûr effacer le surendettement, par faillites, hyperinflation, réduction des dettes, abandon de créances. C’est ce qui se passe : les états demandent aux contribuables de bien vouloir payer pour réduire les dettes excessives des acteurs économiques. Les plans massifs de soutien aux banque ne sont qu’un financement par l’impôt de l’effacement de l’ardoise du surendettement.

Mais il faut aussi et surtout remettre en cause l’ultra libre échangisme qui est à l’origine de la dépression. Sans cette remise en cause, le cancer continuera à ronger nos économies et nous oscillerons entre petites bouffées de croissance malsaine et rechute dans la dépression pour les décennies à venir.

La remise en cause de l’ultra libre échangisme se fait par le protectionnisme. Pas un protectionnisme paranoïaque et national, mais un protectionnisme régional (européen, nord américain etc.) et intelligent. Cette « tentation protectionniste » est accueillie par des bonnes âmes dites « libérales » avec des cris d’orfraie assez peu argumentées et une tentative de souffler sur les cendres de la crise de 1929 en invoquant la soi-disant responsabilité du protectionnisme dans son aggravation. Seuls quelques franc-tireurs isolés et lucides comme Emmanuel Todd remettent en cause cet anti-protectionnisme politiquement correct et irréfléchi.

Le protectionnisme faisait pourtant partie de l’arsenal libéral. Adam Smith, comme Litz, reconnaissait que la protection des jeunes industries, encore fragiles, de la concurrence internationale, était justifiée. Ils notaient aussi que le protectionnisme pouvait protéger une industrie nationale du comportement prédateur et du dumping de concurrents étrangers. Les « avantages comparatifs » ne fonctionnent que dans un monde ou la concurrence n’est pas faussée, de même que l’économie de marché suppose l’éradication des monopoles. Le protectionnisme et les lois anti monopoles ne sont pas contraires au libéralisme : ce sont les garants de son fonctionnement harmonieux.

Le protectionnisme, même régional et intelligent, ne sera pas accueilli de la même façon par toutes les entreprises. Certaines sont farouchement contre, celles là même qui profitent du système pour gonfler leur profit grâce au décalage entre des prix élevés et des coûts bas, comme Nike. Ce sont ces mêmes entreprises dont l’intérêt diverge avec celui des peuples. Un écart s’est en effet créé, qu’avait anticipé le chercheur américain Raymond Vernon dans les années 70, entre l’intérêt de certaines multinationales et l’intérêt des individus ou des états. Ces entreprises vont se battre contre le protectionnisme. Celui-ci, même s’il est bon pour les économies européennes, risque d’éroder leurs surprofits.

L’excédent colossal de la balance commerciale Chinoise-alors que dans le monde d’Adam Smith ces balances sont naturellement équilibrées-montre que la peine infligée aux entreprises européennes par le « libre échangisme sauvage » est beaucoup plus important que le gain lié aux exportations d’avions ou de centrales. D’autant que l’appétit Chinois ou Indien pour la technologie, et leur masse critique d’ingénieur sde qualité, risquent à terme non seulement de tarir des exportations de produits élaborés mais même de susciter de nouveaux concurrents redoutables pour les firmes européennes, du nucléaire à l’aéronautique Dans le domaine des équipements télécoms, ZTE, l’équipementier Chinois, est devenu en quelques années l’un des concurrents les plus dangereux d’Alcatel ou d’Ericsson…

La Chine a très intelligemment instrumentalisé notre fanatique libre échangisme pour conquérir des parts de marché et laminer des pans entiers de nos économies, maintenir sa monnaie sous évaluée, créer d’énormes excédents de sa balance commerciale favorables à sa croissance et accumuler des réserves de change démentielles-avec lesquelles elle pourrait demain racheter Microsoft et General Electric sans peine…On ne peut lui reprocher d’avoir fait preuve d’un formidable sens stratégique, amplifié par l’aveuglement de nos dirigeants politiques et économiques, mais on ne peut que constater les dégâts dans nos économies de cette évolution.

La concurrence extra-européenne, en partie biaisée et sauvage, détruit des emplois, des compétences, des bases technologiques en Europe.

La solution est un protectionnisme non pas national mais régional, et sélectif, ne portant que sur les produits qui viennent concurrencer les nôtres pour de mauvaises raisons, comme le textile, la chaussure ou l ‘électronique grand public. Ce protectionnisme « soft » favorisera les échanges intra régionaux, qui ont un potentiel spectaculaire, avec l’élargissement de l’Union Européenne et l’association de pays comme la Turquie. Il ne stoppera pas les flux d’échanges interrégionaux, qui doivent continuer à exister. Mais il forcera les grands pays excédentaires comme la Chine à rééquilibrer volens nolens leur balances commerciales, c'est-à-dire à nous vendre à proportion de ce qu’ils nous achètent, évitant ainsi de détruire de la valeur en Europe.

Ce protectionnisme sélectif et régional n’est pas contraire au libre-échange. Il est au contraire le garant que le libre échange aura des effets positifs et non destructeurs. Ce protectionnisme régional et intelligent est la solution structurelle de sortie de crise, s’attaquant à la cause profonde de la crise et évitant que les économies étatico/libérales comme la Chine ne balaient les économies ultra libérales comme les nôtres. C’est un paradoxe stupéfiant que Pascal Lamy, le patron de L’Organisation Mondiale du Commerce, socialiste et intègre, défende un système de libre échange extrême aussi destructeur d’emploi et de vies, dans une période de dépression aussi dure et aussi profonde que celle de 2008/2009.

On parle beaucoup de régulation du système bancaire. Mais la régulation du commerce international, la mise au pas des talibans du libre échange forcené, sont plus cruciaux pour la sortie de crise que l’évolution des indices prudentiels ou les bonus des banquiers.