mercredi 2 décembre 2009

Les vautours sont de retour

Dès que les nuages semblent s’éloigner, les rapaces reviennent.

Le rôle des banquiers devrait être de nous aider à gérer intelligemment notre argent et à faire le lien entre épargne et investissement, deux fonctions importantes et qui justifient des profits raisonnables.

Mais les banquiers ont découvert que d’autres opérations étaient infiniment plus rentables, comme la création de produits dérivés ou structurés, la titrisation, la spéculation ou l’arbitrage regroupés sous le nom de hedge, l’industrialisation du délit d’initié, ou les prêts immobiliers aux plus pauvres (les fameux subprimes). Des activités créant du profit faute de créer de la valeur….

Après avoir été sauvées par les états des conséquences de leurs excès dans ces opérations folles (l’état américain garanti en 2009 1500 milliards de dollars de prêts immobiliers sur un total de 1600 milliards), grâce à un chantage à la crise systémique (si nous tombons, l’économie tombe, et hop 120 milliards pour AIG), les banques ont repris mauvaises habitudes et mauvaises opérations. C’est entre autre grâce à ces activités non créatrices de valeur mais créatrices de surprofit que Goldman Sachs va distribuer pour 2009 24 milliards de bonus à ses employés….

Les signes pourtant évanescents de reprise économique ont ainsi revigoré l’une des activités les moins nobles du monde de la finance : les prêts à la consommation (si possible revolving), et les prêts sur carte de crédit (à ne pas confondre avec les cartes de paiement, comme Visa/Carte Bleue). Après un interlude bref pendant les débuts de la crise, on voit refleurir la publicité pour des prêts revolving miracles ou des cartes de crédit permettant d’emprunter à volonté. Le paradoxe est étonnant : ceux-là même qui sont à l’origine de la crise, avec leurs amis des subprimes, frappent de nouveau dès que la crise semble s’estomper.

Car le crédit à la consommation et sur carte de crédit est l’une des principales fissures qui fragilisent le système capitaliste actuel. Il consiste à survendre le plaisir immédiat : achetez le voyage, écran plat, le costume, la montre, le meuble qui vous font plaisir, en escamotant la douleur future : remboursements grevés d’intérêts parfois usuraires, pénalités brutales. Ce crédit à la consommation ressemble ainsi à la drogue ou au tabac : une gratification instantanée payée par un délabrement à terme.

Ce type de crédit fabrique des profits très importants pour les banques ou les entreprises qui le pratiquent, grâce à l’écart entre les taux quasi-usuraires pratiqués et le coût de l’argent, ce dernier ayant fortement baissé à cause de la crise. Les profits sont d’autant plus importants que les organismes prêteurs ont inventés, avec une créativité débridée, toute sorte de pénalités ou frais divers facturés « en douce » au client, qui permettent de multiplier par deux un taux nominal d’intérêt déjà élevé. On croyait payer 12%, on paie 24%. Une société de carte américaine a même inventé une pénalité pour ses clients qui payaient trop vite leur débit…car ces clients ne pouvaient être facturés de juteuses pénalités ou d’intérêts usuraires…Business Week, la très sérieuse revue américaine des entreprises, n’a pas hésité à employer le terme « d’escroquerie » pour certaines de ces pratiques.

La perversité du crédit à la consommation vient de sa méthode et de ses arguments de commercialisation, mais aussi de sa cible naturelle. Les sociétés de crédit à la consommation font un marketing intense et assourdissant, sur Internet, à la radio, à la télévision, au téléphone. Ceux qui sont le plus sensibles à ces sirènes persistantes sont les classes moyennes inférieures, ceux qui salivent devant les biens de consommation que le marketing agite sous leur nez et qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir sur leurs revenus courants, stagnants depuis deux décennies. Ils sont poussés à devenir des cigales irresponsables. Ce type de crédit promet du bonheur et fabrique du malheur. Une émission de télévision récente montrait un ménage au revenu de 3000 euros par mois devant rembourser 2000 euros par mois sur douze crédits différents. Impossible. Les fins de mois angoissantes, les pénalités s’accumulant et vous enfonçant un peu plus dans un trou noir…

Le crédit à la consommation n’est pas perdu pour tout le monde. Il a permis de soutenir artificiellement la croissance au prix d’un surendettement croissant des ménages, et surtout la croissance de la Chine, grande productrice de produits achetés grâce à l’endettement des consommateurs. Le crédit à la consommation, tel qu’il est pratiqué en Occident, est pourtant absurde : s’endetter pour une consommation immédiate et fugitive n’a pas de sens. Si les revenus ne suffisent pas pour acheter, que va-t-il se passer quand ces même revenus seront grevés, en plus des remboursements, d’intérêts et de pénalités. Alors il faut emprunter pour survivre malgré les remboursements, en un cycle infernal. Ce type de crédit ressemble à la drogue : plus on en prend, plus il en faut, et plus on souffre à la fin.

La timidité des gouvernements par rapport au crédit à la consommation donne la mesure à la fois de la puissance de lobbyism des institutions financières qui en profitent et de la drogue à la croissance qu’il représente. Madame Lagarde, pour lutter contre le crédit à la consommation, a …encadré sa publicité… Le courage et la fermeté auraient consisté à empêcher taux usuraires et pénalités exorbitantes, à interdire purement et simplement toute publicité (comme pour le tabac ou l’alcool), et à vraiment introduire dans la loi française la faillite personnelle pour inciter les sociétés de crédit à ne pas sur endetter les ménages. Mais la montagne de l’état français a une fois de plus accouchée d’une loi souris. Sans totalement supprimer une forme de crédit utile dans certains cas et à condition que son coût soit raisonnable, un encadrement très dur permettrait d’en éviter les perversions et les dérapages incontrôlés.

Tant que le crédit à la consommation, sous sa forme revolving ou attaché à une carte de crédit, ne sera pas sévèrement régulé, les bulles peu odorantes du surendettement réapparaitront et nous feront aller de crise en crise pour le seul intérêt des usines chinoises et des banquiers occidentaux, et au détriment des classes moyennes. De temps en temps, un petit « write-off » (JP Morgan va provisionner 1 milliard de dollars de perte sur les cartes de crédit début 2010), mais globalement une bonne affaire car l’état viendra combler les pertes si elles deviennent trop importantes… Dommage que les banques ne réalisent pas qu’en poussant les ménages à la faute pour augmenter leurs profits elles fragilisent dangereusement le système économique qui les nourrit grassement…Il vaut mieux éviter de tuer la poule aux œufs d’or…

1 commentaire:

marc a dit…

bravo