samedi 24 mai 2008

Qui est responsable de la baisse du pouvoir d’achat ? 2


La grande distribution a sa part de responsabilité dans la baisse du pouvoir d’achat. Mais elle ne fait que s’insérer dans un phénomène beaucoup plus profond, à la fois social et géopolitique.

Socialement, les vingt dernières années ont été excellentes pour les grandes entreprises et mauvaises pour les salariés. Sur le front des salaires, la mondialisation a permis de bloquer toute hausse, la menace du chômage et de la délocalisation asphyxiant les velléités de demande d’augmentation. Les salaires moyens ont été effectivement bloqués, et les petits salaires se sont multipliés. Qu’il s’agisse de chaînes de fast food, de société de coursiers, de gardiennage, de nettoyage ou de sécurité, l’arrivée de générations peu diplômées et avides de travailler, ou d’immigrés, a permis aux entreprises de services de payer peu, le coût élevé du travail les obligeant à le faire. Les grandes entreprises, elles, sont devenues de plus en plus multinationales, la production en France ne représentant qu’une part mineure du chiffre d’affaires, pouvant être compensée en cas de grève, et les transferts de production devenant plus faciles d’un pays à l’autre. L’externalisation de fonctions comme les centres d’appels a facilité leurs transferts dans des pays low cost comme le Maghreb et accentué la pression sur le coût du travail. Seuls les salaires des dirigeants ont échappé à cette tendance. Au contraire, les dirigeants, devenant les propriétaires de fait de l’entreprise et réduisant les actionnaires à un rôle passif de nu-propriétaire, ont pu s’augmenter eux-mêmes librement. Les dirigeants, à travers leurs salaires colossaux, et les actionnaires, à travers des profits et des dividendes très élevés, se sont partagé le gâteau au détriment des salariés. Les gains de productivité ont été intégralement transformés en profits et non en salaires comme auparavant. Les PMI sous-traitantes se sont trouvées dans une situation comparable à celles des salariés de base, étranglées par les grandes entreprises, ne pouvant délocaliser du fait de leur taille et prenant de plein fouet le coût élevé d’un travail qualifié. Le revenu des petites entrepreneurs a lui aussi stagné. La société est devenue une société à deux vitesses : d’une part des actionnaires et des dirigeants voyant leur pouvoir d’achat exploser. D’autre part des salariés ou des petits entrepreneurs au pouvoir d’achat en berne.

La situation a été aggravée par la hausse concomitante des prix. Parallèlement à leur pouvoir sur les salaires, le pouvoir de prix des entreprises s’est renforcé. Les entreprises en situation de monopole, comme dans l’énergie ou le transport, ont pu augmenter leurs prix sans que l’état régulateur, affaibli ou complice, n’intervienne. Les entreprises ayant su créer des marques fortes n’ont pas traduit les coûts faibles des importations des pays à bas salaires dans des baisses de prix mais dans des hausses de marge. Une paire de Nike, même produite en Chine, coûte beaucoup plus cher qu’une paire de baskets produite en France il y a vingt ans. Les coûts bas ont nourri les dépenses marketing des marques, qui permettent elle-même d’augmenter les prix sans dommage, mais n’ont pas permis de baisser les prix. Le pouvoir de prix des grandes entreprises monopolistiques ou oligopolistiques et le pouvoir de prix des grandes marques se sont ajoutés à celui des distributeurs pour créer des rentes massives au profit des entreprises et au détriment du consommateur.

Salaires bloqués, prix en hausses : le pouvoir des entreprises sur les salaires et sur les prix lamine le pouvoir d’achat, et la classe moyenne peu à peu étranglée bascule dans des difficultés économiques, tandis que les pauvres s’appauvrissent plus encore…Parallèlement, une élite de cadres dirigeants, de financiers, de grands entrepreneurs, d’actionnaires, voient au contraire leur pouvoir d’achat exploser, nourrissant l’industrie du luxe et des produits haut de gamme ou la bulle immobilière.

Le problème du pouvoir d’achat créé par la stagnation des salaires et la hausse des prix est un symptôme et une conséquence d’un déséquilibre social massif et dangereux, d’une régression par rapport aux années 60 et 70 où au contraire la classe moyenne s’était constituée. La fracture s’ouvre, le milieu de la pyramide sociale glissant vers le bas, et le haut s’envolant comme une tour de Dubaï. Ce chasme de plus en plus profond est un facteur d’instabilité sociale majeure. La tâche principale des politiques devrait être de réfléchir aux moyens de le combler sans basculer dans le dirigisme et l’inefficacité. Ce n’est pas le cas. Les politiques de droite ou de gauche sont trop proches de l’élite économique qui bénéficie du système pour tenter de l’infléchir. Les marges des entreprises ont encore de beaux jours devant elles, et le pouvoir d’achat des classes moyennes de sombres perspectives…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

excellent!
Clair voir lumineux,pauvres de nous.