Les soubresauts brutaux des marchés financiers, les provisions massives passées par certaines banques et qui ne sont qu’un hors d’œuvre, la chute des marchés action, l’entrée des Etats- Unis en récession font penser qu’une crise majeure est en route. J’ai essayé de comprendre les origines de cette crise. Comme la plupart des grandes crises je crois qu’elle vient de la folie ou de l’avidité des individus, de la volonté de puissance ou de richesse poussée à l’extrême, notamment dans la sphère financière. L’ampleur de la crise sera proportionnelle à l’intensité de la folie.
Le monde de la finance est gangrené par l’irrationalité depuis une dizaine d’années. Il est devenu psychotique, à cause d’une combinaison étonnante de laxisme et d’avidité de la part des banques.
Le private equity a été une première poussée de fièvre. Les fonds de private equity collectaient l’argent de grands investisseurs et les utilisaient pour acheter des entreprises à l’aide de prêts bancaires représentant jusqu’au 9/10° du total investi, avec une équation simple : si je réussis, je garde toute la plus value, si j’échoue, tu perds tout ton prêt. Le risque pour les banques, le profit pour le fonds. Des fortunes rapides pour les fonds, une rentabilité élevée pour les investisseurs : pourquoi se priver. Et les banques ? Oh, elles titrisaient ces prêts et les refilaient à d’autres banques.
L’immobilier a été une deuxième poussée, la plus connue. Encourageons des pauvres à s’endetter au-delà de leurs moyens, en prenant des mines vertueuses et en parlant d’accession à la propriété. Roulons délibérément dans la farine ces emprunteurs pauvres, à coup d’intérêts progressifs, de période de grâce, de remboursements in fine, voire de capitalisation des intérêts ! Et titrisons ces prêts pourris pour s’en débarrasser auprès d’autres banques… Même chose pour les prêts à la consommation, à l’achat d’automobile, et surtout pour les prêts aux hedges funds. Ceux-là spéculaient sur les matières premières, les actions, les obligations, l’immobilier, eux aussi grâce à des prêts massifs.
Deux coupables, dans ce gigantesque système de cavalerie mondiale : la titrisation et les commissions.
La titrisation permet de refiler le mistigri vérolé à d’autres, et le système de commission encourage à des opérations démentiellement risquées, mais immédiatement juteuses. La titrisation a été facilitée par les agences de notation poussées au crime, donnant des AAA à des paquets de prêts immobiliers douteux, la même notation qu’à EDF ou à l’Etat Français. Elles aussi, ces agences de notation les Fitch, les Moodys, participaient à ce gigantesque empilement de commissions : 40% de leurs revenus 2006 venaient de la notation de ces titres douteux.
Le système de commissions encourageait les employés ou les responsables des banques à faire des opérations pour les toucher, en sous évaluant systématiquement le risque ou en pensant s’en débarrasser à bon compte par…la titrisation… Quand les bonus annuels des banquiers new-yorkais ou londoniens ont dépassé les cinquante milliards de dollars, qu’une industrie s’est créée pour les aider à les dépenser en tableaux, villas, yatchs ou diamants, il était évident que le système devenait fou, les montants de bonus étant déconnectés de la compétence des individus, de la valeur créée ou de leur contribution aux économies dans lesquelles ils opéraient. Un phénomène mortel de découplage entre valeur pour la société et récompense monétaire…
Titrisation et commissions, les deux racines de la crise… Auxquelles s’est ajouté l’appétit des dirigeants des banques, fascinés par l’argent facile et ne voulant pas le laisser à leurs concurrents. C’est ainsi qu’UBS, la plus grande banque Suisse, réputée pour sa prudence, a laissé sa filiale américaine se gonfler de prêts subprime, au point de perdre plusieurs dizaines de milliards d’euros. C’est ainsi qu’encouragé par ce tourbillon de commissions gigantesques et de transformations en héros de traders fous, un trader de la Société Générale a fait perdre cinq milliards d’euros à sa banque. Kerviel contrairement à ce qu’a affirmé sa banque, n’est pas un illuminé isolé. Il est le produit naturel d’un système devenu psychotique, créé et encouragé par des dirigeants qui trouvent naturel de réaliser des profits de dizaines de milliards d’euros sans contribution à l’économie réelle (voire en la malmenant comme dans le cas des subprimes) et de gagner eux-mêmes des millions d’euros.
Sous leur apparence sérieuse et rationnelle, derrière leurs diplômes et leurs réseaux, je pense que les banquiers ont perdu la tête. Leur folie se mesure aux montants des prêts titrisés, aux montants des hedges funds, aux prêts LBO, qui se mesurent en milliers de milliards d’euros et aux montants des commissions diverses et variées encaissées chaque années, qui se mesurent en centaines de milliards d’euros.
Cette folie, où un trader peut faire perdre plusieurs milliards d’euros à une banque, où des experts discutent pour savoir si le coût des subprimes sera de trois cents ou de six cents milliards d’euros, où d’autres prédisent que si les autres prêts, et en particulier les prêts aux hedges funds, sont contaminés, l’addition pourrait être de plus de mille milliards d’euros, cette folie est si intense que si la purge est proportionnelle à la folie, elle sera spectaculairement douloureuse.
Les banques devront faire des provisions monumentales et deviendront soudain d’une prudence de serpent. Les hedges funds secoués par les appels de marge des banques devront se débarrasser de leurs produits, écrasant leurs prix et provoquant de nouveaux appels de marge. La baisse de l’immobilier augmentera le nombre de saisie et la vente de ces biens accentuera la baisse. La crainte de faillite conduira les particuliers à liquider leurs fonds communs de placement, forçant les gérants à vendre et accentuant la baisse des cours. Les banques passeront de l’irresponsabilité face au risque à l’obsession du risque, prêtant moins ou plus cher. Freiné par la chute de l’immobilier et des actions, la consommation se ralentira, bloquant la croissance. Le chômage remontera et le pouvoir d’achat stagnera, ralentissant encore la consommation. Tout d’un coup, l’économie devra payer les centaines de milliards placés imprudemment, les dizaines de milliards de commissions indues. Et si le pouvoir de prix des grandes entreprises leur permet de remonter les prix, comme on l’a vu récemment dans la distribution ou l’alimentaire, ce sera le retour de la stagflation, portant le coup de grâce à la consommation.
Chute massive des prix de l’immobilier et des actions, croissance étouffée voire récession, chômage, paupérisation. Les riches boivent, les pauvres trinquent. Les commissionnés du subprime siroteront leur pur malt devant leur piscine pendant que les emprunteurs abusés, dépossédés de leur maison, iront louer un mobile home. On parle beaucoup de la crise de 29. Mais, plus près de nous, regardons comment l’économie japonaise est devenue depuis dix ans, malgré ses entreprises de pointe, une économie stagnante, ralentie, vieillissante, à cause d’une bulle immobilière et boursière nourrie par les grandes banques irresponsables, entretenue par un système politique corrompu, bulle qui en éclatant a irrémédiablement endommagé l’économie réelle. La purge de la folie bancaire dans les pays occidentaux risque d’être aussi douloureuse. Et les dirigeants des grandes banques pourraient se poser la question de leur rôle, de leur responsabilité et de leur légitimité face à la crise engendrée par leur folie. « Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre » disait Homère. La nemesis de nos économies risque bien d’être l’obsession du court terme et l’avidité sans bornes des grandes banques occidentales…
Le monde de la finance est gangrené par l’irrationalité depuis une dizaine d’années. Il est devenu psychotique, à cause d’une combinaison étonnante de laxisme et d’avidité de la part des banques.
Le private equity a été une première poussée de fièvre. Les fonds de private equity collectaient l’argent de grands investisseurs et les utilisaient pour acheter des entreprises à l’aide de prêts bancaires représentant jusqu’au 9/10° du total investi, avec une équation simple : si je réussis, je garde toute la plus value, si j’échoue, tu perds tout ton prêt. Le risque pour les banques, le profit pour le fonds. Des fortunes rapides pour les fonds, une rentabilité élevée pour les investisseurs : pourquoi se priver. Et les banques ? Oh, elles titrisaient ces prêts et les refilaient à d’autres banques.
L’immobilier a été une deuxième poussée, la plus connue. Encourageons des pauvres à s’endetter au-delà de leurs moyens, en prenant des mines vertueuses et en parlant d’accession à la propriété. Roulons délibérément dans la farine ces emprunteurs pauvres, à coup d’intérêts progressifs, de période de grâce, de remboursements in fine, voire de capitalisation des intérêts ! Et titrisons ces prêts pourris pour s’en débarrasser auprès d’autres banques… Même chose pour les prêts à la consommation, à l’achat d’automobile, et surtout pour les prêts aux hedges funds. Ceux-là spéculaient sur les matières premières, les actions, les obligations, l’immobilier, eux aussi grâce à des prêts massifs.
Deux coupables, dans ce gigantesque système de cavalerie mondiale : la titrisation et les commissions.
La titrisation permet de refiler le mistigri vérolé à d’autres, et le système de commission encourage à des opérations démentiellement risquées, mais immédiatement juteuses. La titrisation a été facilitée par les agences de notation poussées au crime, donnant des AAA à des paquets de prêts immobiliers douteux, la même notation qu’à EDF ou à l’Etat Français. Elles aussi, ces agences de notation les Fitch, les Moodys, participaient à ce gigantesque empilement de commissions : 40% de leurs revenus 2006 venaient de la notation de ces titres douteux.
Le système de commissions encourageait les employés ou les responsables des banques à faire des opérations pour les toucher, en sous évaluant systématiquement le risque ou en pensant s’en débarrasser à bon compte par…la titrisation… Quand les bonus annuels des banquiers new-yorkais ou londoniens ont dépassé les cinquante milliards de dollars, qu’une industrie s’est créée pour les aider à les dépenser en tableaux, villas, yatchs ou diamants, il était évident que le système devenait fou, les montants de bonus étant déconnectés de la compétence des individus, de la valeur créée ou de leur contribution aux économies dans lesquelles ils opéraient. Un phénomène mortel de découplage entre valeur pour la société et récompense monétaire…
Titrisation et commissions, les deux racines de la crise… Auxquelles s’est ajouté l’appétit des dirigeants des banques, fascinés par l’argent facile et ne voulant pas le laisser à leurs concurrents. C’est ainsi qu’UBS, la plus grande banque Suisse, réputée pour sa prudence, a laissé sa filiale américaine se gonfler de prêts subprime, au point de perdre plusieurs dizaines de milliards d’euros. C’est ainsi qu’encouragé par ce tourbillon de commissions gigantesques et de transformations en héros de traders fous, un trader de la Société Générale a fait perdre cinq milliards d’euros à sa banque. Kerviel contrairement à ce qu’a affirmé sa banque, n’est pas un illuminé isolé. Il est le produit naturel d’un système devenu psychotique, créé et encouragé par des dirigeants qui trouvent naturel de réaliser des profits de dizaines de milliards d’euros sans contribution à l’économie réelle (voire en la malmenant comme dans le cas des subprimes) et de gagner eux-mêmes des millions d’euros.
Sous leur apparence sérieuse et rationnelle, derrière leurs diplômes et leurs réseaux, je pense que les banquiers ont perdu la tête. Leur folie se mesure aux montants des prêts titrisés, aux montants des hedges funds, aux prêts LBO, qui se mesurent en milliers de milliards d’euros et aux montants des commissions diverses et variées encaissées chaque années, qui se mesurent en centaines de milliards d’euros.
Cette folie, où un trader peut faire perdre plusieurs milliards d’euros à une banque, où des experts discutent pour savoir si le coût des subprimes sera de trois cents ou de six cents milliards d’euros, où d’autres prédisent que si les autres prêts, et en particulier les prêts aux hedges funds, sont contaminés, l’addition pourrait être de plus de mille milliards d’euros, cette folie est si intense que si la purge est proportionnelle à la folie, elle sera spectaculairement douloureuse.
Les banques devront faire des provisions monumentales et deviendront soudain d’une prudence de serpent. Les hedges funds secoués par les appels de marge des banques devront se débarrasser de leurs produits, écrasant leurs prix et provoquant de nouveaux appels de marge. La baisse de l’immobilier augmentera le nombre de saisie et la vente de ces biens accentuera la baisse. La crainte de faillite conduira les particuliers à liquider leurs fonds communs de placement, forçant les gérants à vendre et accentuant la baisse des cours. Les banques passeront de l’irresponsabilité face au risque à l’obsession du risque, prêtant moins ou plus cher. Freiné par la chute de l’immobilier et des actions, la consommation se ralentira, bloquant la croissance. Le chômage remontera et le pouvoir d’achat stagnera, ralentissant encore la consommation. Tout d’un coup, l’économie devra payer les centaines de milliards placés imprudemment, les dizaines de milliards de commissions indues. Et si le pouvoir de prix des grandes entreprises leur permet de remonter les prix, comme on l’a vu récemment dans la distribution ou l’alimentaire, ce sera le retour de la stagflation, portant le coup de grâce à la consommation.
Chute massive des prix de l’immobilier et des actions, croissance étouffée voire récession, chômage, paupérisation. Les riches boivent, les pauvres trinquent. Les commissionnés du subprime siroteront leur pur malt devant leur piscine pendant que les emprunteurs abusés, dépossédés de leur maison, iront louer un mobile home. On parle beaucoup de la crise de 29. Mais, plus près de nous, regardons comment l’économie japonaise est devenue depuis dix ans, malgré ses entreprises de pointe, une économie stagnante, ralentie, vieillissante, à cause d’une bulle immobilière et boursière nourrie par les grandes banques irresponsables, entretenue par un système politique corrompu, bulle qui en éclatant a irrémédiablement endommagé l’économie réelle. La purge de la folie bancaire dans les pays occidentaux risque d’être aussi douloureuse. Et les dirigeants des grandes banques pourraient se poser la question de leur rôle, de leur responsabilité et de leur légitimité face à la crise engendrée par leur folie. « Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre » disait Homère. La nemesis de nos économies risque bien d’être l’obsession du court terme et l’avidité sans bornes des grandes banques occidentales…
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