lundi 11 février 2008

Nouvelle classe

Daniel Bouton, en tant que PDG de la Société Générale, devrait en principe assumer sa responsabilité et les erreurs commises sous son égide, comme les patrons démissionnaires ou démissionnés de Citybank, d’UBS ou de Merril Lynch. La plupart des banques ont été touchées par la crise de subprimes, victimes de leur avidité, de l’argent facile et d’une apparence trompeuse de risque faible encouragée par les agences de notation, coupables et complices. Les PDG démissionnaires sont ceux dont les banques été les plus lourdement touchées, à hauteur de plusieurs milliards d’euros, par cette erreur dans la gestion du risque. La Société Générale elle-même a annoncé avoir perdu deux milliard d’euros avec les subprimes, ce qui aurait été suffisant pour conduire Daniel Bouton à s’interroger sur sa légitimité.
Mais ce qui est arrivé à la Société Générale est infiniment plus grave que les subprimes, qui ne sont que la conséquence d’un risque mal apprécié. La Société Générale a perdu cinq milliard d’euros parce qu’un obscur courtier a pu déjouer des contrôles soit disant étanches et prendre pour cinquante milliards d’euros de positions non couvertes. Cinquante milliards d’euros, près de quatre cent milliards de francs. Le chiffre donne le vertige. Que ce soit possible est hallucinant. On se dit qu’après tout cela aurait pu être deux ou trois cent milliards d’euros, si d’autres courtiers avaient joués le même jeu. On se demande si d’autres banques auraient pu être coupables de la même erreur. Que ce soit arrivé est surréaliste. En dénouant ses positions, la banque a d’ailleurs provoqué une panique boursière en Europe. Devant une faute aussi colossale, Daniel Bouton aurait dû partir immédiatement.
Mais son refus de démissionner est compréhensible. Quand on gagne environ six millions d’euros par an entre salaire et stocks, soit environ mille SMIC, quand on bénéficie des réseaux, des clubs, des soirées ou l’on est au coude à coude avec ses pairs de l’establishment, quand on est envié par des députés ou des ministres, au fond moins hauts dans la hiérarchie sociale, il est très difficile d’abandonner volontairement autant d’argent et autant de prestige.
Et comme les administrateurs sont choisis par les PDG, soit venant de l’entreprise elle-même, soit amis ou obligés, soit eux-mêmes PDG et souhaitant le rester, la probabilité qu’ils démettent un président est très faible. Daniel Bouton aurait pu nous éviter la mascarade de la démission refusée par le conseil : ce fut un petit arrangement entre amis, un coup de théâtre destiné à nous faire croire qu’il avait réellement voulu partir alors qu’il s’agissait d’une tactique pour rester en poste malgré la tempête, en lâchant en apparence un peu de lest.
Daniel Bouton était il un bon PDG ? Si l’on en juge par les résultats de sa banque jusqu’en 2006, oui. A quel prix, en termes de service dégradé et de coûts inflatés pour ses clients, et surtout en termes de risques ? Le problème n’est au fond pas là. Son refus tout à fait logique de démissionner montre qu’en une quarantaine d’années est apparu une véritable caste, indépendante des actionnaires dispersés et impuissants, capable de fixer elle-même le niveau de sa rémunération en augmentation rapide, s’appuyant sur des conseils d’administration amicaux et complices, prestigieuse et dominante, et surtout inamovible : la nouvelle caste des patrons de grande entreprises.

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