mardi 12 mai 2009

De l’escroquerie à l’illusionnisme

Quelques réflexions provoquées par la remontée de près de 30% des cours de bourse au printemps 2008.

Madoff n’a escroqué qu’une cinquantaine de milliards de dollars à des riches qui le suppliaient de prendre leur argent. Les banques américaines, elles, auront soutiré vingt fois plus, soit plus de 1000 milliards de dollars, à l’état américain, donc au contribuable américain et peut-être aux épargnants du monde entier. Certains analystes estiment même que l’addition finale pourrait monter à …4000 milliards de dollars.

Après avoir prêté délibérément à des ménages insolvables, tenté de cacher le cadavre sous des outils exotiques comme la titrisation, et répandu ainsi la maladie dans le monde entier, après avoir ruiné des millions d’épargnants, déclenché une crise économique qui va créer des dizaines de millions de chômeurs, les banques américaines font payer l’addition par le contribuable, sans le moindre soupçon de repentir, confites dans une arrogance tranquille. Le secrétaire américain au trésor, proche des grandes banques d’affaires, a injecté près de cent milliards de dollars pour sauver une seule société, AIG, préservant ainsi les profits de ses amis des grandes banques d’affaires, comme Goldman Sachs, qui a récupéré instantanément une dizaine de milliards de dollars.

Des dizaines d’années d’excès financiers et de crédits fous, des centaines de milliards de dollars de commissions, de salaires, de bonus, contreparties d’un rôle économique douteux, sont conservées par ces banques sauvées par le contribuable. Quelques licenciements dorés, quelques retraites anticipées mais avec chapeaux en platine… Et en prime la Federal Reserve, banque centrale amie des banques et de la Bourse, passe le taux de base à 0%, sans que les banques ne diminuent leurs taux usuraires de prêts à la consommation ou sur les cartes de crédit, à 20% ou plus, ce qui regonfle les profits écornés des banques … L’économie américaine est noire, mais la finance américaine a réussi à maquiller sous une couche de roses ses rides profondes.

Magique : des excès ont permis un colossal enrichissement sans cause et quand vient l’heure du jugement, l’état rachète gentiment ces créances aujourd’hui pourries mais hier si rentables. Au surendettement des ménages, on substitue ainsi le surendettement de l’état. La dette anglaise va passer de 50 à 100% du PNB en cinq ans… Mais qui peut croire que ce transfert massif de dette du privé vers le public, cette destruction de tous les verrous de la gouvernance économique, seront sans conséquence. Quand la dette publique deviendra aussi insupportable que la dette privée l’est devenue, il faudra soit de l’hyper inflation soit des faillites d’état pour la ramener à un niveau supportable. Remember les emprunts russes. Au bout du tunnel, l’éventualité d’une ruine des épargnants telle que Madoff apparaîtra comme un plaisantin.

La bourse, elle, dans sa folie, remonte parce que les nouvelles sont un peu moins mauvaises. Comme quelqu’un qui tombe du haut d’un gratte-ciel et qui a chaque étage dit : pour l’instant, ça va… Le taux de destruction d’emploi diminue légèrement, mais chaque mois des centaines de milliers, des millions d’emplois, continuent à partir en fumée… Certaines activités reprennent car le déstockage ayant été exagéré, on revient à un niveau de stock plus normal, mais le niveau d’activité reste beaucoup plus bas qu’il y a un an. L’industrie française a chuté au premier trimestre 2008 de plus de 8% par rapport à fin 2008. Les primes à la casse limitent temporairement la casse sur le marché de l’automobile, mais Toyota a vu ses ventes baisser de 20% et Chrysler est moribond. Le Titanic de l’économie coule, mais l’orchestre de la bourse joue et joue encore. Il est vrai qu’il y a un tel matelas de liquidités mondiales, et des taux d’intérêts si anémiques, que des investisseurs sont tentés de revenir sur les marchés actions, saisissant la moindre « moins mauvaise nouvelle » pour le faire. Du coup, on assiste à une hausse des cours, et la hausse provoque la hausse, d’autres investisseurs revenant sur le marché de craindre de rater « un bull market »… Jusqu’à un nouveau krach. Les banques américaines, on le sait par le Wall Street Journal, ont récemment fait pression sur la Federal Reserve pour ce qu’elle divise par deux ou par trois le montant de la recapitalisation nécessaire pour les remettre sur les rails. Et le marché de proclamer fièrement : tout va très bien, madame la marquise, les banques américaines ne vont pas si mal que ça, youp la boum, la bourse peut remonter. Et les hommes politiques font chorus avec cette méthode Coué boursière, proclamant ce qu’ils espèrent : on voit le bout du tunnel, yahoo ! Soit ils se mentent à eux-mêmes, soit ils pensent qu’à force de dire que la crise est finie, elle disparaîtra…

A une grande escroquerie succède ainsi une gigantesque illusion. Une illusion dangereuse. En clamant que la crise est en train de finir, que la maladie est en train de guérir, on s’aveugle, on s’empêche de faire un diagnostic réaliste et courageux, de prendre les mesures dures, les remèdes de cheval, qui permettront de guérir nos économies. Dire que la crise est finie ne la supprime pas. Au contraire, elle la prolonge et la renforce. La remontée de la bourse, la sous-estimation délibérée des trous bancaires, l’absence de politique économique courageuse, la course à l’injection de liquidités et à la baisse des taux d’intérêts créent des mirages de la sortie de crise qui masquent la réalité de son aggravation.

Il y a probablement des moyens sains de faire repartir les économies : nationaliser les banques qui appartiennent déjà au contribuable, pour les guérir de leur avidité à court terme, les ramener à des taux de profit raisonnables et leur faire jouer leur rôle de transformation de l’épargne en investissement. Faciliter les transferts d’activités des secteurs du passé, dangereux et polluants, comme la chimie ou la pharmacie, vers les secteurs de l’avenir comme les télécommunications, le numérique ou les énergies propres. Etablir un protectionnisme régional, pour éviter de faire tondre définitivement notre industrie par très puissante économie Chinoise. Réduire les dépenses improductives, comme les dépenses militaires, au profit des dépenses d’avenir, comme l’éducation. Simplifier et économiser fortement sur les dépenses publiques inutiles (cf. la bonne et logique idée de supprimer le département en France). Retrouver un équilibre plus juste entre salaires et profits et capper l’échelle des salaires dans une entreprise à 1 à 10, pour permettre au pouvoir d’achat des classes moyennes de repartir à la hausse et de constituer de nouveau un vrai moteur de croissance. Rétablir les lois sur l'usure, en interdisant aux banques ou sociétés de crédit de prêter à plus de 10% au dessus du taux d'intérêt de base. Supprimer les rentes en établissant une vraie concurrence (par exemple en France en libérant les ouvertures de nouveaux magasins comme les hards discounters…). Réguler d’une main de fer les monopoles naturels comme EDF. Ces mesures énerveraient prodigieusement tout les groupes de pression qui profitent des distorsions du système, à l'image de l’aristocratie française a résisté mordicus pendant tout le XVIII° aux tentatives de la soumettre à l’impôt, elle qui en était indûment exemptée. Mais la crise légitime et facilite ces changements, à condition que politiques et dirigeants la regardent en face et préfèrent en sortir au prix de quelques sacrifices à court terme plutôt que de se persuader qu’elle est déjà terminée et différer les remèdes au risque d’une aggravation dramatique de l’état du patient…

Admettre qu’il y a eu une forme de prédation irresponsable de la part du système financier surtout américain, et la punir, reconnaître que nous sommes au milieu d’une crise structurelle très grave, refuser de considérer la bourse ou les discours politiques comme des baromètres sérieux, réfléchir à des mesures radicales et courageuses, ce n’est pas du millénarisme alarmiste. C’est du réalisme positif.