mardi 2 septembre 2008

L’heure de la récession a sonné.

Début 2008, dans une contribution au 11° blog, je prévoyais une forte récession pour 2008. Avec deux dommages collatéraux : une baisse brutale de la Bourse et de l’immobilier. Depuis, quelques ministres ou économistes adeptes de la méthode Coué et à côté de leurs pompes ont à plusieurs reprises prévu une croissance à peine ralentie. Un économiste connu, expert des plateaux radios et des interviews de presse, a même en Mars 2008, prévu que la Bourse de Paris allait remonter vigoureusement pour retrouver allégrement les 6000 points. Il est dommage qu’on ne puisse mettre à l’amende ces imbéciles, ils seraient tous SDF…

Eté 2008, la récession est là : en Allemagne, en Italie, en Espagne, le PNB a baissé pendant un trimestre. L’immobilier s’effrite en Angleterre, en Espagne, en France. Les bourses européennes, asiatiques, américaines (à l’exception du Brésil) ont subi un brutal ajustement.
Pendant ce temps, les responsables d’un grand parti d’opposition français se chamaillent comme à la maternelle. Et les dirigeants d’un grand parti au pouvoir, retrouvant les méthodes des Indiens au XIX°, pensent qu’avec des incantations et des yakas la croissance reviendra.

Sans vouloir jouer les cassandres, nous ne sommes pourtant peut-être qu’aux prémisses d’une vraie récession, pour quatre raisons :

- le système financier est loin d’être purgé de ses excès. Les quatre cent milliards de dollars de provisions passées par les banques sur des prêts douteux et imprudents sont loin d’avoir nettoyé les écuries d’Augias. Au-delà des subprimes, toute une série de prêts immobiliers, de prêts à la consommation, de prêts à des fonds de private equity, à des hedge funds, de prêts à des entreprises, tous irresponsables, très risqués, motivés par l’attrait du gain immédiat et des commissions et bonus aberrants, vont exploser à la figure des banques. Il reste entre cinq cent et mille milliards de dollars à provisionner. Les banques sont une file d’acrobates encordés sur un fil instable, et, au-delà de Northern Rock ou de Fannie Mae, d’autres chutes sont probables avec un risque systémique de catastrophes en chaîne.
Ces banques tétanisées par le spectre de la faillite, lapins imprudents dans la lumière des phares de la réalité, vont, même si elles survivent, aller comme d’habitude trop loin dans le sens inverse de la prudence et du conservatisme. Après l’orgie, l’anorexie. Les prêts seront de plus en plus difficiles à obtenir, de plus en plus coûteux. Or ces prêts étaient l’un des moteurs essentiels de la croissance à crédit des économies occidentales depuis le début du siècle. Ce moteur est cassé.

- les abyssaux déséquilibres américains, celui du budget et celui de la balance commerciale, sont plus profonds que jamais. La délétère et unilatérale guerre d’Irak, qui a vu les Etats-Unis attaquer et occuper un état souverain sans blanc-seing de l’ONU (qui sont-ils pour demander le respect de l’intégrité territoriale Georgienne !), a couté entre 600 et 1000 milliards de dollars, enrichissant Cheyney et Bush par Haliburton interposé, mais plombant massivement le budget américain et lui enlevant toute marge de manœuvre pour une relance effective. Ce gaspillage massif a créé un déséquilibre économique insupportable, sans création de richesse ou développement de l’offre. Au même moment, les banques américaines prêtaient massivement aux Américains pour leur permettre de consommer à crédit, et ceux-ci achetaient des produits fabriqués plus compétitivement à l’extérieur, notamment en Chine, nourrissant ainsi la croissance chinoise ou coréenne et créant un massif déficit de la balance commerciale américaine. Ce déficit insupportable qui aurait dû se traduire par un effondrement du dollar à deux dollars l’euro n’a été amorti que par les achats tout aussi massifs de dollars par les pays excédentaires comme la Chine. La croissance mondiale a ainsi été nourrie par la folie du gouvernement et des banques américaines, et facilitée par la stratégie astucieuse de la Chine et des pays excédentaires, mais l’heure des comptes a sonné et la récession est le seul remède plausible à ces déséquilibres fous.

- les prix des matières premières, qui avaient augmenté de façon vertigineuse, déclenchant une inflation malsaine et entamant le pouvoir d’achat des ménages, ont reculé mais restent à des niveaux très élevés. Pour un retour à des niveaux qui ne soient plus absurdes, la croissance doit être stoppée non seulement dans les vieux pays développés, comme les Etats-Unis mais aussi dans les nouveaux pays riches comme la Chine. Si tous les Chinois consommaient autant d’essence et de viande qu’un Américain, le prix du pétrole serait à 500 dollars le baril et le steak à 100 euros le kilo. Seule la croissance dans les secteurs comme les télécoms, les media, les énergies douces, les bio technologies, les protéines végétales bio, faibles consommatrices d’énergie et de matières premières, a un sens aujourd’hui. Tous les Chinois peuvent avoir un portable (ils sont déjà quatre cent millions à en avoir un). Tous ne peuvent avoir une voiture individuelle à moteur à explosion. La récession est une nécessité pour retrouver des niveaux de prix supportables et une croissance dont la structure soit saine et soutenable. Le prix des matières premières reste ainsi une barrière majeure à la croissance telle que nous l’avons connue depuis dix ans.

- les entreprises ont aujourd’hui un pouvoir de prix considérable, lié au recul de la régulation publique des prix et de la concurrence. Un libéralisme mal compris, qui n’est en fait qu’une soumission au lobby des grandes entreprises, a conduit à un laisser faire antilibéral, dans lequel des monopoles ou des oligopoles se sont tranquillement constitués ou renforcés et ont abusé de façon éhontée de leur pouvoir de prix. Les hausses des prix des matières premières se sont traduites de façon systématique, dans le pétrole, le gaz, l’électricité, ou l’acier, par une hausse des profits des entreprises de transformation ou de distribution. Ces entreprises ont profité de ces hausses pour faire plus que répercuter dans leurs prix l’augmentation de leurs coûts. Le prix du gaz en France, par une complicité assez médiocre entre Bercy et GDF, a subi trois hausses en 2008, sous le prétexte des hausses des prix de l’énergie, permettant aux profits de GDF d’exploser… Certains grands de l’agroalimentaire ou de la distribution ont eux aussi de façon assez sournoise, en se renvoyant la balle, utilisé leur pouvoir de prix pour racketter le consommateur de base. D’où une baisse très douloureuse du pouvoir d’achat des ménages, de Djakarta à Stockholm, amputé à la fois par l’augmentation du coût des produits de base et par les prélèvements de ces prédateurs, qui va se traduire par une baisse de la consommation donc de la croissance.

Le cumul de ces quatre phénomènes : effondrement du système financier mondial, déséquilibre insupportable de l’économie américaine, croissance irraisonnée et bouffeuse de matières premières, et pouvoir de prix croissant de beaucoup de grandes entreprises, devrait conduire in fine à une récession de grande ampleur dont nous ne voyons que les prémices aujourd’hui, et qui se traduira par une baisse sensible du profit des entreprises, par une montée du chômage et par une déflation du prix des actifs immobiliers et financiers et donc d’une partie de l’épargne.

Comme je l’avais dit dans mon blog précédent (Vive la récession), cette récession n’est pas une maladie mais un remède, le remède qu’impose la réalité pour nous guérir de nos excès du début du siècle. Le seul problème de ce remède c’est que sont punis les petits, les plus pauvres, les humbles, les sans grades, tandis que les « fat cats » responsables de la Bérézina actuelle, hommes politiques couchés devant les grandes entreprises, dirigeants de grandes entreprises ou de banques gavés de bonus et d’options, toute cette élite dévoyée, a accumulé assez de capital pour être à peine effleurée par l’aile noire de la récession. Dans les récessions, comme dans les guerres, la piétaille paye les erreurs ou la corruption des élites.

Une récession n’est jamais éternelle. Nous sortirons un jour de cette récession comme des autres, mais une sortie rapide et supportable, différente de la sortie de la crise de 1929 (la II° guerre mondiale) implique préalablement un « aggiornamento » politique, une remise en cause du système de production, de reproduction, et de comportement des élites dans tous les pays développés. Un « new deal » politique, conduisant à une « nouvelle société », combinant – on peut rêver - une protection sociale forte pour épargner aux plus fragiles les effets collatéraux de la crise qui s’annonce et corriger une inégalité de plus en plus insupportable, un vrai libéralisme économique créant une concurrence saine et active et donnant un vrai pouvoir aux consommateurs, une régulation ferme des monopoles naturels pour mettre fin à leur racket, une moralisation de la politique et de l’économie pour éviter le jeu des lobbies et de la corruption rampante, et un budget articulé sur les dépenses créatrices de richesse et non sur les subventions ou la protection des gueulards ou des rentiers.

Malheureusement, dans le monde, peu de partis semblent capables d’aller au-delà de l’ambition personnelle de leurs dirigeants et du pouvoir pour le pouvoir. En France ni le PS, lieu d’affrontement de nains décérébrés, ni l’UMP, complice éhontée des puissants, ne sont aujourd’hui capables d’enfanter cette nouvelle société. Alors qui se lèvera pour la proposer à des peuples désenchantés ?