lundi 18 octobre 2010

Aveuglement agricole

Monsieur Bruno Lemaire, ministre des agriculteurs, emboitant le pas de son président, Nicolas Sarkozy, a déclaré à la fin de l'été 2010 : l'agriculture ne doit pas suivre strictement les règles environnementales car elles sont au fond trop contraignantes.

Il remets notamment en cause la division par deux de l'emploi des pesticides à moyen terme, prévue dans le Grenelle de l’environnement.

Monsieur Lemaire est un haut fonctionnaire de talent, mais la gestion d’entreprise ne semble pas faire partie des facettes de son expérience et de sa compétence.

Or une exploitation agricole est une entreprise, avec des recettes et des coûts, ou plus techniquement des extrants et des intrants. Parmi ces couts, ceux des semences, du matériel, de l'essence, des engrais et des produits phytosanitaires. La consommation d'engrais, d'aliments pour bétail et de pesticides ayant fortement augmenté depuis une vingtaine d'années, les comptes d'exploitation des agriculteurs ont été plombés. Par ailleurs une absurde course à la puissance a conduit à l'achat de tracteurs de plus en plus gros, voraces en énergie

L'enjeu pour les agriculteurs, dont les revenus nets sont en baisse, est à la fois de maintenir leurs prix de ventes mutilés par les distributeurs et la concurrence étrangère, et de diminuer leurs coûts.

Une des méthodes les plus efficaces pour diminuer les coûts est d'aller vers une agriculture plus raisonnée, employant moins de pesticides et d'engrais, et moins de compléments alimentaires coûteux. Ce qui permet par ailleurs en même temps d'aller vers la qualité, c'est à dire vers des produits moins truffés de pesticides ou d’hormones. Les progrès technologiques récent, notamment dans les logiciels et la géolocalisation, permettent de le faire sans diminution innaceptable des rendements.

Il peut y avoir convergence entre l’intérêt des agriculteurs et ceux de l’environnement. Par exemple le labourage de surface, permet d’utiliser des tracteurs moins voraces que les engins classiques tout en donnant de très bon rendements et en limitant les risques d’érosion du sol. De même la baisse de l’emploi de pesticides est à la fois bon pour l’environnement et pour les comptes des agriculteurs. Cette baisse réduit également le risque pour la santé des agriculteurs, de plus en plus menacée par l’emploi excessif de ces produits.

Les grandes entreprises industrielles de la chimie peuvent s'adapter à cette nouvelle donne, en développant des produits plus efficaces, non polluant et sans risque sanitaire. Elle doivent cesser de pousser à une surconsommation coûteuse et polluante. Cela ne veut pas dire aller vers les OGM: celles-ci qui devaient diminuer l'utilisation de produits nuisibles, bloquent au contraire les agriculteurs dans un type unique de pesticides dont le prix augmente et l'efficacité diminue, comme le roundup utilisé en couple avec les OGM "Roundup Ready".

Ces grandes entreprises industrielles sont des lobbies puissants aux poches profondes, qui peuvent mobiliser experts, contacts, media. La FNSEA, qui représente prioritairement les grands céréaliers, et qui dispose d’un étrange monopole de la représentation paysanne, est directement influencée par ces lobbies dont elle sert les intérêts. C'est la voix de ces groupes de pression qu'a semble t'il entendu le ministre de l'Agriculture.

Les grands semenciers ont par exemple réussi à interdire aux agriculteurs d’utiliser des semences non référencées au "Catalogue" (leur catalogue, en fait), même si ces semences sont millénaires et correspondent à des variétés d’un fort intérêt d’un point de vue diversité et gustatif.

Le vrai problème de l'agriculture française est d'être coincée entre certains grands industriels de l'amont, au pouvoir d’influence important , et les grands distributeurs de l'aval qui abusent de leur position dominante pour bloquer les prix et acheter a l'étranger au moindre différentiel de prix. C'est à cela que devrait peut-être s'attaquer Monsieur Lemaire, plutôt qu'au Grenelle de l'environnement.

Faute de connaissance réelle de ce qu’est une exploitation agricole, Bruno Lemaire ne se bat pas pour les tous les agriculteurs, mais pour un minorité d'entre eux, et pour certains grands industriels. L’INRA, un des centres de recherche sur l’agriculture les plus performants au monde, est d’ailleurs…en désaccord avec son ministre sur cette question de la réduction des pesticides.

Quant on évoque le nom de Bruno Lemaire comme premier ministre, on peut s'interroger : va t'il reproduire au niveau national le manque de discernement dont il semble faire preuve par rapport au monde agricole? Et reproduire au détriment des PME de l'industrie et des services une politique au fond défavorable aux exploitations agricoles petites et moyennes?

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