lundi 26 avril 2010

le salaire de la peur

Le salaire de la peur

Les économies développées ont un boulet au pied : les dépenses liées à la peur, qui tuent la croissance plus sûrement que les bulles financières.

Le 11 Septembre a créé une peur intense du terrorisme qui s’est traduit par une augmentation formidable des dépenses liées à la sécurité-et du temps perdu dans les aéroports. Mais c’est aussi à cause du terrorisme que les Etats-Unis ont envahi l’Irak ou que l’Occident est intervenu en Afghanistan. C’est par peur du terrorisme qu’Israël a construit pour quelques milliards son mur coupant en deux une terre éternelle. Les terroristes ont réussi à nous affaiblir au-delà de toute espérance non par leurs actes mais par les dépenses en centaines de milliards qu’ils ont réussi à nous imposer. Et par les souffrances énormes que les états tétanisés par la peur ou instrumentalisant la peur ont infligé à des populations innocentes, fabriquant de nouveaux terroristes en une spirale infernale.

Le terrorisme tue infiniment moins que la route, l’alcool, le cancer, l’obésité, la guerre. Les morts du terrorisme se comptent en milliers par an, ceux des autres maux de l’humanité en dizaines de millions. On investit probablement un million fois plus pour éviter un mort par le terrorisme que pour un mort d’une autre cause. Et pourtant, un mort est un mort. Mais c’est la peur qui nous guide, activée par l’intérêt bien compris de quelques entreprises, comme Halliburton, la société de Dick Cheyney, faucon de la guerre en Irak qui a rapporté à son entreprise quelques milliards de dollars. Il y a plus de mercenaires grassement payés que de soldats réguliers en Irak.

Nos sociétés ont aussi une peur bleue du délinquant. En France, chaque fait divers a donné lieu à une loi sécuritaire qui a considérablement augmenté le nombre de gardés à vue et de prisonniers. Aux Etats-Unis, la peur du noir et du pauvre se traduit par l’emprisonnement de près de 1% de la population. A 50 000€ par prisonnier et par an, c’est environ 100Milliards de dollars qui sont dépensés…pour fabriquer des délinquants. Car la prison est une fabrique de délinquants : les petits délinquants sont transformés en grands délinquants par le climat social de la prison et l’absence de politique de réinsertion. La peur conduit aussi à la multiplication des forces de police, par exemple en France avec cette innovation assez récente : la police municipale, qui coûte les yeux de la tête aux communes pour quelques cowboys ou quelques retraités ne faisant pas bouger d’un iota la sécurité dans les villes. L’insécurité est une réalité dans certaines banlieues mais la réponse répressive aveugle coûte très cher et ne la diminue pas, au contraire.

La encore seules quelques entreprises, fournissant des armes ou des services (comme la guerre, la gestion des prisons sera de plus en plus confiée au privé) bénéficient de ce climat de peur.

La peur du terrorisme et de la délinquance coûtent des centaines de milliards en dépenses improductives. Et elles ont des effets pervers indirects considérables. Perte de temps, exacerbation des tensions sociales, haine de l’état, sentiment d’injustice. Guantanamo a porté un coup fatal à l’image d’intégrité de la démocratie américaine. Les centaines de milliers de garde à vue en France ont un effet nul sur la délinquance et conduisent à une hostilité inutile envers la police parce qu’une minorité de policiers traitent le citoyen comme un sous-homme.

Après la peur du terrorisme et de la délinquance, la peur de la l’épidémie. Comme si nous étions encore tétanisés par le souvenir de la peste noire du XIV ° siècle. La panique de la ministre de la santé française faisant fabriquer des dizaines de millions de vaccins et organisant des séances de vaccination dans les gymnases illustre la folie et le gaspillage auxquels peuvent conduire la peur. La ministre a des excuses : l’Organisation Mondiale de la Santé, semble t’il instrumentalisée par des entreprises pharmaceutiques, a tiré avec brutalité le signal de la peur, au nom d’un principe de précaution camouflant mal des intérêts économiques moins reluisants.

La politique de la santé est elle-même façonnée par la peur de la mort qui conduit à l’acharnement thérapeutique inhumain ou à l’exploit de maintenir en vie des prématurés de plus en plus embryonnaires qui seront de futurs handicapés. La peur de la maladie provoque une surconsommation massive de médicaments dont certains sont de purs placebos, ou ont des effets secondaires bien pire que les effets primaires qu’ils prétendent guérir.

Nos sociétés sont devenues peureuses, les media renforcent et capitalisent sur la peur, le tout pour un coût économique et social formidable dont ne bénéficient qu’une poignée d’entreprises opportunistes ou manipulatrices, les capitalistes de la peur. Paradoxalement, les vrais dangers dont nous devrions avoir peur, comme la guerre, la dégradation de l’environnement, les désastres nutritionnels, sont balayés sous le tapis par les groupes de pressions qui souffriraient de la lutte contre ces vrais fléaux. Les groupes agroalimentaires traitent avec désinvolture les sucres, les graisses, les additifs ou les pesticides. Les grands groupes énergétiques ou industriels se battent contre les écologistes qui risqueraient de leur faire perdre quelques points de marge pour sauver la planète. Les industriels de l’armement produisent et vendent massivement les armes qui tuent tout aussi massivement des civils, des bombes à fragmentation aux mines antipersonnel…

Nous marchons sur la tête. Nous escamotons les peurs légitimes et nous montons en épingle de fausses peur, par combinaison de cupidité et de lâcheté. Le salaire de la peur est colossal mais nul n’a le courage de le remettre en cause.

Nos économies vont peut-être finir par mourir de peur.