vendredi 28 novembre 2008

Crise : 2008 et 1929

Pour prévoir la durée et l’intensité de la récession qui s’annonce, les économistes ou les financiers sont inutiles. Ils ont prouvé leur incompétence : Patrick Artus, l’économiste de Natixis peu avare de sa parole dans la presse et à la radio, affirmait avec aplomb en avril 2008 : la crise est finie. Le même mois, le FMI affirmait : la menace de crise financière et économique a diminué. En mai 2008, le gouverneur de la banque d’Angleterre confirmait : une récession est improbable.

Prévoir la durée et l’intensité de la récession ne peut se faire qu’en analysant notre situation et en la comparant à la crise de 1929, à laquelle elle ressemble de façon étonnante, contrairement à ce que d’autres « experts » ont proclamé.

A l’été 1929, après sept ans de croissance ininterrompue, l’économie américaine commence à ralentir. Le cours des matières premières gonflé, le pouvoir d’achat de la classe moyenne en berne, des surinvestissements et des surstocks : les conditions du ralentissement sont réunies (cela vous rappelle peut être quelque chose….)

Parallèlement, en 1928 et 1929, dans une « orgie spéculative », pour reprendre l’expression de Galbraith, la bourse américaine avait connu une croissance fulgurante, déconnectée de la réalité économique et liée à des emprunts massifs pour acheter des actions, de la part de particuliers sûrs de s’enrichir et de nouvelles sociétés inventées pour l’occasion : les Investment Trust.

En octobre 1929, ayant atteint la limite de l’irrationnel, la bourse américaine baisse avec violence (comme en novembre 2008) et l’effet de levier se retourne contre les détenteurs d’actions, obligés de liquider leurs titres pour rembourser leurs dettes, créant ainsi une spirale infernale. Malgré quelques journées de rebond, comme fin octobre 1929 (+15% en deux jours, comme en novembre 2008), la bourse plie irrémédiablement. La récession et les mauvais résultats des entreprises vont continuer à la faire baisser jusqu’en 1932 où elle vaut le 1/5° de sa valeur 1929 : une baisse de plus de 80% !
Le début de la crise de 2008 ressemble à celle de 1929 : effondrement de la bourse, ralentissement de toutes les économies, entrée officielle en récession. La crise financière contribue à enclencher la récession, puis celle-ci se nourrit d’elle-même et au passage amplifie la crise financière. La crise de 1929 durera dix ans, verra le chômage monter à 25% de la population active, et l’économie se contracter d’1/3…Question : la crise de 2008 sera-t-elle aussi profonde et aussi longue que celle de 1929 ?

En 2008, le point favorable par rapport à 1929 est l’action des gouvernements et des banques centrales. En 1929, après une timide tentative de relance par Hoover (baisse d’impôts etc.) et une baisse des taux d’intérêts de 6 à 5% par le FED, les gouvernements ont accentué la crise en revenant à un strict équilibre budgétaire grâce à une forte contraction des dépenses publiques, et en adoptant des politiques protectionnistes au niveau national.

En 2008, en revanche, les gouvernements des Etats-Unis et des pays développés, après avoir massivement soutenu les banques victimes de leur avidité, injectent plus de deux mille milliards pour soutenir leurs économies, acceptant des déficits budgétaires abyssaux, pendant que les banques centrales baissent leurs taux directeurs à marche forcée. Cette politique agressive ne suffira pas à relancer une économie mondiale dont les fondamentaux sont viciés, pas plus qu’elle n’a permis de relancer l’économie japonaise dans les années 90, mais en 2008, au moins, les gouvernements n’accentuent pas la crise comme en 1929/1933.

En revanche, en 2008, l’interconnexion beaucoup plus forte des systèmes financiers et des économies mondiales pousse à l’aggravation de la crise. BNP a perdu plus de 500 millions d’euros à cause de la faillite de Lehmann. L’économie chinoise est en train de ralentir de façon brutale suite à la chute de la demande en Europe et aux Etats-Unis. La récession est mondiale et se nourrit d’elle-même au niveau mondial. Les ventes de voitures neuves ont chuté d’un tiers au Brésil ou en Russie…

Le deuxième point défavorable en 2008, par rapport à 1929, est l’ampleur de la crise systémique. En 1929, les spéculateurs détenteurs d’actions étaient à peine plus d’un million aux Etats-Unis. En 2008, ce sont par dizaines de millions que les Américains ou les Européens sont surendettés par les vautours du crédit immobilier, du crédit à la consommation et des cartes de crédits. En fait une immense bulle du crédit s’est formée qui a nourri la croissance des dix dernières années : cette bulle a éclaté. Un empilement colossal de dettes diffusées dans toute l’économie est en train de s’effondrer sous son propre poids. Et elle ne se traduit pas simplement par une baisse de la bourse, mais aussi et surtout par une baisse brutale de la consommation et de l’investissement.

Aux Etats-Unis comme en Europe, les ménages ne pouvant plus s’endetter pour consommer vont ralentir leurs achats de façon durable, d’autant que la montée du chômage, la baisse de valeur des actifs réels (immobiliers, bourse), les menaces sur les retraites et le blocage du pouvoir d’achat vont amplifier leur tendance à épargner. Le levier du crédit, va fonctionner en sens inverse, car le désendettement deviendra nécessaire, par remboursement ou faillite personnelle. Les ménages les plus fortunés, bénéficiaires de l’orgie spéculative, se retrouveront eux aussi brusquement confrontés à une baisse de leurs revenus : sale temps pour les produits de luxe, des villas aux yachts.

Les entreprises, confrontées à une baisse inéluctable de leur chiffre d’affaires, vont elles-mêmes réduire leurs investissements, garder leur cash, réduire leurs coûts, ce qui sonne le glas de sous traitants ou de fournisseurs faciles à rationner. De façon ultime elles licencieront leurs employés. Les banques, saignées par leurs provisions massives, obligées de reconstituer leurs ratios, faméliques de cash et allergiques aux risques, vont durcir leurs conditions de crédits et réduire leurs en-cours.

Ménages, entreprises, banques : la récession mondiale va se nourrir d’elle-même. Elle sera très probablement supérieure au -1 à +2% que prédisent les augures. La récession mondiale sera beaucoup plus profonde, certains secteurs comme l’automobile baissant de 20%. Quant à la bourse, rappelons qu’en 1996, Alan Greenspan parlait d’exubérance irrationnelle avec un Dow Jones à 6400. Il est aujourd’hui à plus de 8000. Le potentiel de baisse des bourses est encore d’un bon 1/3, voire plus…

Combien de temps durera la récession. Il est très aventureux de faire une prévision précise. Mais purger les excès de la bulle du crédit et de la croissance irrationnelle des dix dernières années ne peut se faire rapidement. La montée du chômage et les difficultés des entreprises en 2009 et 2010 (faillites probables d’entreprises majeures sauf soutien artificiel par les états) vont alimenter la récession qui se prolongera probablement jusqu’en 2012, malgré les plans d’intervention des états. La bourse et l’immobilier, atteints comme en 1929 par la décroissance de l’économie réelle, baisseront de façon inéluctable. Il faudra au minimum cinq ans pour émerger de la gueule de bois que nous avons tous, y compris la Chine et l’Inde, qui connaîtront eux aussi la croissance zéro voire la décroissance.

L’économie japonaise a connu dans les années 90 dix ans de stagnation et de déflation à la suite de l’explosion de la bulle immobilière : les déficits budgétaires massifs, les taux d’intérêts à zéro et les programmes de grand travaux n’ont pas permis de restaurer la confiance et la croissance.

Les acteurs économiques, ménages et entreprises, sont en effet rationnels dans leur volonté de repli, de ralentissement de leur consommation, de fuite vers le cash. C’est leur survie qui est en jeu. Les incantations ou les programmes gouvernementaux ne peuvent changer cet état de fait, elles ne peuvent obliger les acteurs économiques à être soudain irresponsables…Au fond, les acteurs de l’économie envoient un signal : nous voulons une nouvelle donne, une économie qui ne soit plus dopée et malsaine, un nouveau monde. La société de consommation et de crédit est moribonde sous sa forme actuelle.

Et après la crise ? Pour un temps du moins, les orgies spéculatives seront endiguées et « l’exubérance irrationnelle » sera remplacée par un calme lucide. Si nous trouvons la voie de la croissance quantitativement faible ou nulle, mais qualitativement forte, grâce à l’équilibre entre régulation et marché, et à la rigueur et l’intelligence dans les dépenses publiques, alors nous connaîtrons peut-être une nouvelle ère de prospérité, différente mais plus saine que la période que nous avons connu depuis dix ans. Ce n’est pas par hasard que les secteurs les plus porteurs sont les télécoms, les media, l’entertainment, internet : ils améliorent la vie de tous sans consommer massivement des ressources et sans coûter trop cher…

Mais entre temps les risques sont très importants.

L’intervention massive des gouvernements crée un nouveau spectre : celui de la faillite d’un état. L’Islande l’a frôlé. Les grands pays comme la France, l’Angleterre ou les Etats-Unis vont se surendetter massivement pour financer les déficits colossaux que leur politique de relance et leur laxisme budgétaire structurel vont créer. Quand la dette sera si gigantesque, même le pouvoir régalien de prélever l’impôt –sur des économies exsangues- ne sera plus suffisant pour payer les intérêts et rembourser la dette, et la faillite d’un état deviendra possible.

Parallèlement, la récession pourrait déclencher des mouvements sociaux très brutaux et déstabiliser aussi bien des pays développés que des pays émergents drogués de croissance, comme la Chine ou l’Inde. Ce n’est pas FD Roosevelt qui a sorti les Etats-Unis de la crise de 1929. C’est la seconde guerre mondiale.

Après cinq ans de récession probable, deux voies s’ouvriront à nous : le chemin de la croissance qualitative, intelligente et maîtrisée, ou celui du cataclysme brutal. Souhaitons que la sagesse des foules, indiscutable, qui nous mène vers la première voie, ne soit pas étouffée par l’aveuglement ou l’égoïsme des élites.

mercredi 19 novembre 2008

Crise et marchands de désespoir

Les fabricants d’armes sont des marchands de mort. Les opérateurs de loteries sont des marchands d’espoir. Les organismes de crédit à la consommation sont des marchands de désespoir.
La crise économique très dure que nous sommes en train de vivre a été déclenchée par des intermédiaires ou des banques poussant des ménages américains pauvres à emprunter pour acheter des biens immobiliers, en leur faisant miroiter des plus values futures et en repoussant à deux ou trois ans le paiement des intérêts ou le remboursement de la dette. C’est une crise du surendettement provoquée délibérément. La titrisation de ces « prêts pourris » ou subprimes a permis de diffuser le cancer dans le monde entier.
Alors que nous sommes officiellement entrés en récession, que la baisse du pouvoir d’achat se propage et que le spectre du chômage renaît, des organismes de crédit à la consommation, loin de tirer les leçons de la bulle des subprimes, cherchent au contraire à exploiter les difficultés des classes moyennes inférieures pour fabriquer des profits à court terme, recréant ainsi une bulle financière avec comme dommage collatéral le stress voire le désespoir de millions de ménages, dans toute l’Europe.
Que ce soit à travers des pop up sur Internet ou par mail, voir par des appels téléphoniques systématiques, les ménages sont agressés de propositions de prêts alléchantes des Cofidis, Cetelem ou autres Cofinoga. Il ne s’agit pas d’être à la disposition de ménages ayant une difficulté temporaire. Il s’agit d’un démarchage actif, voire agressif, poussant les ménages à s’endetter envers ces organismes à des taux quasi-usuraires.
J’ai par exemple reçu récemment un mailing de Cofinoga, filiale de crédit à la consommation d’une grand banque : « retirez des espèces avec votre Carte Cofinoga » (oui, mais ces retraits gonfleront votre dette), « faites vos achats avec votre carte et réglez en 2009 » , « bientôt Noël achetez malin » ( à crédit bien sûr),« demande financement express de 1000 euros » etc. Le tout à des taux d’intérêt généralement supérieurs à 20% !!!
J’imagine une femme seule avec un enfant ayant un total de crédit revolving sur différentes cartes de crédit de 20 000 euros (ces cartes se sont multipliées, notamment les cartes dites co-brandées, entre un organisme et une entreprise, la dernière en date étant celle de Total).
A 20% d’intérêt elle doit payer chaque mois 350 euros d’intérêt seul, sans parler du remboursement du principal. Si elle gagne 1500 euros net par mois, ce qui est dans la moyenne, et s’il il lui reste 700 euros par mois après avoir payé l’essentiel : loyer, transport, alimentation de base, la moitié de son revenu « discrétionnaire » ira payer des intérêts sur ses crédits.
Le crédit n’est pas mauvais en soi. Il permet d’avancer la consommation et donc la gratification dans le temps, par exemple lorsqu’on achète un téléviseur écran plat à crédit. Mais deux choses le pervertissent : pousser les consommateurs à l’utiliser de façon irresponsable, comme les subprimes ou les crédits à la consommation, et des taux d’intérêts quasi-usuraires (plus de 20%).
Les organismes de crédit à la consommation surfent sur les difficultés économiques en promettant une gratification immédiate tout en occultant la douleur future du paiement des intérêts et des remboursements. Au moindre retard, les relances deviennent brutales et surtout payantes, si bien que le ménage en difficultés s’enfonce de plus en plus dans un trou noir, désarmé face à des entreprises géantes capables de mobiliser huissiers et de financer des actions en justice. Les organismes de crédit donnent leurs créances à recouvrer à des officines payées à la commission sur les sommes recouvrées ou vendent même leurs créances à des sociétés spécialisées dans le recouvrement musclé, comme l’a montré une émission récente de la BBC qui s’attaque avec courage à des problèmes de société….
Les ménages que ces organismes ont poussé à se sur endetter basculent dans la dure réalité après un rêve bref. Le crédit à la consommation est en effet comme une drogue : un plaisir fugace, des séquelles pénibles et une accoutumance dramatique. Se débattant avec les relances des sociétés de recouvrements, jonglant pour payer intérêt ou principal, réempruntant pour payer les intérêts précédents, le ménage surendetté, même s’il arrive à payer (le taux de non-paiement est inférieur à 2%) vit un véritable calvaire, une pression et des difficultés permanentes, une vie d’angoisse et de privations…Les organismes de crédit à la consommation sont ainsi des marchands de désespoirs : si le taux de non remboursement est faible, le taux de désespoir est élevé et concerne potentiellement plusieurs millions de ménages (10%, 20%, 30% des emprunteurs ?).
La récession qui commence, en accusant les difficultés de millions de ménages, rendra encore plus séduisantes les sirènes des organismes de crédit, dont les profits seront à la mesure de la crise, et dont les dommages collatéraux exacerberont les effets de cette crise. Une augmentation du taux de défaut sera absorbable par leurs surprofits, qui ne seront en revanche pas pénalisés par le taux élevé de désespoir des ménages. Une interdiction formelle de démarchage et de publicité, et un plafond d’intérêt à une marge raisonnable au-delà du taux de base (aucun prêt ne devrait pouvoir être fait à plus de 10%) sont des remèdes possibles.

C’est l’intérêt de tous de réguler ces organismes de crédit à la consommation : trop d’inquiétude, de stress, ou de désespoir pourraient en effet transformer une crise économique en crise sociale.

lundi 20 octobre 2008

Entreprises : que faire ?

Face à une crise économique aussi brutale et aussi profonde, que peuvent faire les entreprises ?

Certaines ont décidé de taper le contribuable. En premier rang des banques et des compagnies d’assurance imprudentes, en deuxième ligne des entreprises au fort pouvoir de lobby, comme la construction immobilière en France ou l’automobile aux Etats-Unis. Mais leurs besoins sont gigantesques et les états sont pauvres. Et seules les grosses bien connectées peuvent clamer : « too big to fail ». Les moyennes n’ont que leurs yeux pour pleurer « too small to bail »…

Les vraies solutions sont à trouver dans la transformation des modèles d’offre et de prix. L’effet ne sera pas immédiat mais peut permettre de traverser la tempête sans naufrage. Les grands cupides du passé devraient, pour elles-mêmes comme pour nous, renoncer à leurs surpromesses ou à leurs rentes de situation. Les hypermarchés peuvent freiner leurs promotions tournantes masquant des hausses de prix généralisées et stabiliser voire baisser leurs prix . Les grands de l’agroalimentaire ou de la pharmacie peuvent arrêter de faire payer cher illusions de santé ou de beauté. La crise rend les clients allergiques aux promesses déceptives et aux hausses de prix illégitimes. Ils ne sont plus dupes et se rebiffent en consommant moins. Pour la première fois depuis longtemps, le chiffre d’affaires des parkings ou des autoroutes baissent.
Les entreprises continuant à offrir après 2009 des produits à la valeur illusoire ou disproportionnée par rapport aux prix subiront de plein fouet la crise, verront leurs ventes chuter très lourdement et leurs profits se transformer en pertes massives.

Au contraire, les entreprises qui sauront fournir de la valeur au client à travers leurs produits ou leurs services, qui sauront diminuer leurs coûts sans diminuer cette valeur, qui sauront trouver un niveau de prix aligné-non sur leurs coûts-mais sur la valeur de leur produit, survivront à la crise. Elles attireront et garderont leurs clients grâce à la valeur réelle de leur offre, qui est le paramètre dominant pendant une crise, alors que le bling bling ou le bras de fer deviendront insupportables. Leurs profits baisseront, mais nettement moins que ceux de leurs consœurs n’apportant pas de valeur. La valeur va au-delà des produits ou des services : elle s’étend aux business modèles. Les entreprises innovantes, capables de trouver l’équilibre entre les modèles de prix pertinents pour le client et positifs pour la trésorerie, seront vaccinées contre la crise.

Et volens volens, la marge devra être sacrifiée au cash. Baisser les prix en contrepartie d’un paiement rapide des clients. Bloquer investissements et dépenses moins utiles, et donc la croissance, pour limiter l’impact d’un manque de liquidité. Mettre le navire à la cape et laisser passer le coup de vent. Accepter de gagner moins pendant quelques temps pour ne pas perdre tout.

L’économie de crise ne tolère pas le mensonge, le gaspillage ou le laxisme. Les collectivités locales ne pourront plus recruter n’importe qui. Les entreprises ne pourront faire n’importe quoi de leurs prix ou de leur offre. Les banques ne pourront plus prêter n’importe comment. La croissance artificielle induite par l’endettement et le déficit gommait les excès et les médiocrités. La crise les fait apparaître avec brutalité. Le cash, le juste prix, la valeur de l’offre : voilà les trois réponses à la crise qui limiteront la baisse inéluctable des marges et permettront d’attendre des jours meilleurs, pendant que les concurrents obstinés dans la surpromesse, la rente, ou la médiocrité, seront balayés …

jeudi 16 octobre 2008

Crises : tous coupables, tous cupides ?

La crise financière est d’une violence inouïe. Certains dirigeants de banque irresponsables ont accumulé des créances pourries, hypnotisés par l’appât du profit à court terme et des bonus considérables qui en résultaient. Deux mille milliards de dollars, c’est le total des commissions et profits générés par les crédits immobiliers en quelques années aux Etats-Unis…Cet énorme stock de créances dévaluées a précipité la chute de Lehman Brother, de Merril Lynch, de Fortis, d’Hypobank…Et surtout a crée une défiance générale des banques entre elles, une peur de la faillite du voisin, et par conséquent un assèchement des liquidités… L’un des rouages principaux de l’économie, le crédit aux entreprises, s’est tari…

Mais si les banquiers ont le dos large et leur part de responsabilité, il ne faut pas leur faire porter le chapeau. Le court termisme, la « cupidité », ont été exacerbés chez les banques, mais on les retrouve dans l’économie réelle. Des entreprises très nombreuses, des grands distributeurs aux grands monopoles naturels, des géants de l’agro alimentaire aux big pharmas, ont spéculé sur la faible élasticité des prix à court terme pour augmenter leurs prix plus que de raison. Certaines ont tenté de camoufler leurs hausses de prix sous des baisses de quantités ou de valeur, mais toutes ont pêché…

L’état lui aussi s’est révélé d’un court termisme pitoyable. Les Etats-Unis ont financé par des déficits massifs les réductions des impôts des riches, une guerre inutile et illégale, et 700 milliards par an de dépenses militaires improductives. Ils doivent 7000 milliards de dollars au reste du monde. La France a combiné largesses démagogiques et baisses d’impôts sans qu’un effort sérieux de réduction des dépenses soit engagé, abordant ainsi la crise sans réserves et avec un déficit et une dette inacceptable. En France toujours, le laxisme de l’état, a été accentué par celui des collectivités locales, promptes au recrutement clientélistes et aux investissements de prestige, combinant hausses des impôts locaux- y compris à Paris- et endettement sans frein.

Tous cupides…Aujourd’hui, nous payons leur aveuglement. La crise de l’économie réelle qui s’annonce a été accentuée par la crise financière mais créée par la cupidité de tous. Les rouages de la récession brutale qui s’annonce viennent non des banques mais de la combinaison du court termisme de tous les acteurs.

Car si l’élasticité au prix est faible à court terme, elle est plus élevée à long terme, les clients ont le temps de comprendre …et de réagir en diminuant leur consommation ou en substituant des produits peu cher aux produits trop chers. C’est ainsi que les hard discounters ont prospéré sur la faute des hyper, que même les achats alimentaires baissent en France.

La surchauffe de croissance due à la folie de la dette et des déficits à court terme a fait s’envoler les cours des matières premières. Les entreprises industrielles ou de service, en abusant de leur pouvoir de prix, ont encore plus sapé le pouvoir d’achat des ménages. La crise de liquidité et la défiance des banques attaquent le crédit immobilier et les prêts à la consommation. Le prix des actifs et la valeur de l’épargne baissent. L’inquiétude est à son comble et devient de la panique. Le cumul de ces facteurs va freiner massivement la consommation, d’autant que beaucoup de produits sont sans réelle valeur pour le client. On peut garder une voiture un an de plus, décaler l’achat d’un costume, manger un yaourt nature de marque de distributeur plutôt qu’un Actimel de Danone…

Parallèlement, l’assèchement du crédit aux entreprises couplé aux anticipations de ralentissement économique conduit tout droit à un arrêt de l’investissement.

Et l’état et les collectivités locales, sur déficitaires et endettés, ne peuvent s’amuser ni à creuser leurs déficits ni à augmenter des prélèvements obligatoires déjà insupportables dans beaucoup de pays dont la France.
Les moteurs de la croissance sont ainsi devenus des freins. La récession va être brutale, la purge sévère, avec un enchaînement des trimestres en décroissance. Le découplage de l’économie financière et de l’économie réelle est un mythe. Et les pays émergents, dont la croissance était couplée à la nôtre grâce à la mondialisation, vont eux aussi s’arrêter net. Le monde sera en récession en 2009, année horribilis.

jeudi 9 octobre 2008

Salon de l’auto ou placard de l’auto


Le salon de l’auto a ouvert ses portes. Les semi-remorques badgées Toyota ou Audi amènent stand ou voitures rutilantes. Les pimpantes hôtesses se préparent à sourire. Mais c’est un peu le bal dans le château en flamme. L’automobile est une industrie menacée. Avant même la brutale récession qui s’annonce, l’industrie automobile était confrontée à un défi impossible. Elle était devenue l’une des industries les plus concurrentielles au monde (quinze groupes concurrents s’affrontent en Europe avec trente cinq marques différentes) et son environnement s’était durci, les problèmes de congestion urbaine, de pollution et de pétrole rare pesant sur son avenir et sur ses coûts.
Mais la crise économique déclenchée par la crise financière va amplifier le défi auquel est confrontée l’industrie.
La crise amputera le pouvoir d’achat des ménages en effritant leurs revenus sans faire diminuer leurs coûts fixes. Or l’automobile est un « big ticket item », coûtant cher à l’achat, au comptant comme à crédit. La crise rendra encore plus insupportable le prix déjà trop élevé de la circulation (prix de l’essence), de la congestion (consommation, parking, amendes) et de la pollution (coûts supérieurs, malus). Sous cette double pression, les ventes de voitures neuves vont s’effondrer.
Au-delà du ralentissement des ventes, la crise rendra inopérant le processus de sortie de nouveaux modèles marginalement différents des précédents, en général plus grands et plus lourds, au fond très similaires aux modèles concurrents, et finalement assez peu attractifs car répondant mal aux évolutions rapides et profondes du marché. Les clients deviendront très exigeants sur la réponse à leurs besoins. Ils voudront des nouveautés délivrant de la valeur réelle et non de l’obsolescence contrôlée à travers des restylages de design.
Mais surtout la crise va précipiter la remise en cause du modèle d’offre actuel de l’industrie, le triptyque vente d’un produit (l’automobile), motorisation archaïque (moteur à explosion), consommation d’énergie fossile fournie par un tiers (le pétrolier). Ce modèle ne réponds plus, surtout dans les très grandes agglomérations, aux exigences du marché : faible pollution, coût d’achat raisonnable et coût global d’usage modéré et stable.
Pour survivre, l’automobile devra se réinventer à travers des ruptures d’offre et même des ruptures de modèle, pour éviter le sort de l’industrie de la musique, tuée par son inertie et son archaïsme à l’ère digitale.
Toyota a ainsi démontré, avec son hybride peu polluant et consommant peu, la Prius et avec son modèle quatre places de moins de trois mètres et consommant 4litres au cent en ville, la IQ, qu’il était possible d’introduire de nouveaux modèles calés sur les évolutions du marché.
Le low cost, dont Renault a été le pionnier, qui réponds avec succès au problème de budget des ménages en période de récession ou dans les pays émergents, devra être décliné en gammes larges et amplifié par l’ultra low cost, la voiture à 3000 euros, sur lequel avancent Tata et Renault. Le low cost à l’achat devra cependant être complété par le low cost à l’usage, à travers des prouesses de consommation.
Mais le low cost ne répond pas au problème de congestion, de pollution et de coût d’usage des mégalopoles de plus de dix millions d’habitants ou habite une part croissante de la population de la planète. Le low cost est parfait pour pour Campo Grande ou Avallon. Il est moins adapté à Mumbaï ou à Shangaï. Pour ces mégalopoles, l’automobile va devoir inventer un nouvel écosystème. Vendre de la mobilité individuelle (pour laquelle la demande restera toujours forte), et non des voitures. Moteur non polluant électrique ou équivalent (air comprimé etc.) au lieu de moteur à explosion, et donc énergie simple et peu coûteuse. Offre d’un « paquet » de services comprenant la voiture, son entretien, sa revente, l’énergie, et la place pour la garer contre un abonnement défini et fixe. Le modèle de l’industrie automobile de demain, ce sont Apple (Ipod/Itunes), Orange, ou même le Veli’b.
Les entreprises automobile, pour survivre, sont condamnées à une rupture majeure : passer du vieux modèle qui les a porté pendant cent ans à un nouveau modèle de mobilité individuelle dans les mégalopoles, qui est radicalement différent. Evoluer ou finir au placard, voila quel devrait être le thème du salon…

mercredi 1 octobre 2008

La folie et la crise

Les soubresauts brutaux des marchés financiers, les provisions massives passées par certaines banques et qui ne sont qu’un hors d’œuvre, la chute des marchés action, l’entrée des Etats- Unis en récession font penser qu’une crise majeure est en route. J’ai essayé de comprendre les origines de cette crise. Comme la plupart des grandes crises je crois qu’elle vient de la folie ou de l’avidité des individus, de la volonté de puissance ou de richesse poussée à l’extrême, notamment dans la sphère financière. L’ampleur de la crise sera proportionnelle à l’intensité de la folie.
Le monde de la finance est gangrené par l’irrationalité depuis une dizaine d’années. Il est devenu psychotique, à cause d’une combinaison étonnante de laxisme et d’avidité de la part des banques.
Le private equity a été une première poussée de fièvre. Les fonds de private equity collectaient l’argent de grands investisseurs et les utilisaient pour acheter des entreprises à l’aide de prêts bancaires représentant jusqu’au 9/10° du total investi, avec une équation simple : si je réussis, je garde toute la plus value, si j’échoue, tu perds tout ton prêt. Le risque pour les banques, le profit pour le fonds. Des fortunes rapides pour les fonds, une rentabilité élevée pour les investisseurs : pourquoi se priver. Et les banques ? Oh, elles titrisaient ces prêts et les refilaient à d’autres banques.
L’immobilier a été une deuxième poussée, la plus connue. Encourageons des pauvres à s’endetter au-delà de leurs moyens, en prenant des mines vertueuses et en parlant d’accession à la propriété. Roulons délibérément dans la farine ces emprunteurs pauvres, à coup d’intérêts progressifs, de période de grâce, de remboursements in fine, voire de capitalisation des intérêts ! Et titrisons ces prêts pourris pour s’en débarrasser auprès d’autres banques… Même chose pour les prêts à la consommation, à l’achat d’automobile, et surtout pour les prêts au hedges funds. Ceux-là spéculaient sur les matières premières, les actions, les obligations, l’immobilier, eux aussi grâce à des prêts massifs.
Deux coupables, dans ce gigantesque système de cavalerie mondiale : la titrisation, et les commissions.
La titrisation permets de refiler le mistigri vérolé à d’autres, et le système de commission encourage à des opérations démentiellement risquées, mais immédiatement juteuses. La titrisation a été facilitée par les agences de notation pousses au crime, donnant des AAA à des paquets de prêts immobiliers douteux, la même notation qu’à EDF ou à l’Etat Français. Elles aussi, ces agences de notation les Fitch, les Moodys, participaient à ce gigantesque empilement de commissions : 40 % de leurs revenus 2006 venaient de la notation de ces titres douteux.

Le système de commissions encourageait les employés ou les responsables des banques à faire des opérations pour les toucher, en sous évaluant systématiquement le risque ou en pensant s’en débarrasser à bon compte par… la titrisation… Quand les bonus annuels des banquiers New-yorkais ou Londoniens ont dépassé les cinquante milliards de dollars, qu’une industrie s’est créée pour les aider à les dépenser en tableaux, villas, yatchs ou diamants il était évident que le système devenait fou, les montants de bonus étant déconnectée de la compétence des individus, de la valeur créée ou de leur contribution aux économies dans lesquelles ils opéraient. Un phénomène mortel de découplage entre valeur pour la société et récompense monétaire…
Titrisation et commissions, les deux racines de la crise… Auxquelles s’est ajouté l’appétit des dirigeants des banques, fascinés par l’argent facile et ne voulant pas le laisser à leurs concurrents. C’est ainsi qu’UBS, la plus grande banque Suisse, réputée pour sa prudence, a laissé sa filiale américaine se gonfler de prêts sub prime, au point de perdre plusieurs dizaines de milliards d’euros. C’est ainsi, qu’encouragé par ce tourbillon de commissions gigantesques et de transformations en héros de traders fous, un trader de la Société Générale a fait perdre cinq milliards d’euros à sa banque. Kerviel contrairement à ce qu’a affirmé sa banque, n’est pas un illuminé isolé. Il est le produit naturel d’un système devenu psychotique, créé et encouragé par des dirigeants qui trouvent naturel de réaliser des profits de dizaines de milliards d’euros sans contribution à l’économie réelle (voire en la malmenant comme dans le cas des subprimes) et de gagner eux même des millions d’euros.
Sous leur apparence sérieuse et rationnelle, derrière leurs diplômes et leurs réseaux, je pense que les banquiers ont perdu la tête. Leur folie se mesure aux montants des prêts titrisés, aux montants des hedge funds, aux prêts LBO, qui se mesurent en milliers de milliards d’euros et aux montant des commissions diverses et variées encaissées chaque années, qui se mesurent en centaines de milliards d’euros.
Cette folie, où un trader peut faire perdre plusieurs milliards d’euros à une banque, où des experts discutent pour savoir si le coût des subprimes sera de trois cent ou de six cent milliards d’euros, où d’autres prédisent que si les autres prêts, et en particulier les prêts aux hedge funds, sont contaminés, l’addition pourrait être de plus de mille milliards d’euros, cette folie est si intense que si la purge est proportionnelle à la folie, elle sera spectaculairement douloureuse.
Les banques devront faire des provisions monumentales et deviendront soudain d’une prudence de serpent. Les hedge funds secoués par les appels de marge des banques devront se débarrasser de leurs produits, écrasant leurs prix et provoquant de nouveaux appels de marge. La baisse de l’immobilier augmentera le nombre de saisie et la vente de ces biens accentuera la baisse. La crainte de faillite conduira les particuliers à liquider leurs fonds communs de placement, forçant les gérants à vendre et accentuant la baisse des cours. Les banques passeront de l’irresponsabilité face au risque à l’obsession du risque, prêtant moins ou plus cher. Freiné par la chute de l’immobilier et des actions, la consommation se ralentira, bloquant la croissance. Le chômage remontera et le pouvoir d’achat stagnera, ralentissant encore la consommation. Tout d’un coup, l’économie devra payer les centaines de milliards placés imprudemment, les dizaines de milliards de commissions indues. Et si le pouvoir de prix des grandes entreprises leur permets de remonter les prix, comme on l’a vu récemment dans la distribution ou l’alimentaire, ce sera le retour de la stagflation, portant le coup de grâce à la consommation.
Chute massive des prix de l’immobilier et des actions, croissance étouffée voire récession, chômage, paupérisation. Les riches boivent, les pauvres trinquent. Les commissionnés du sub prime siroteront leur pur malt devant leur piscine pendant que les emprunteurs abusés, dépossédés de leur maison, iront louer un mobile home. On parle beaucoup de la crise de 29. Mais, plus près de nous, regardons comment l’économie Japonaise est devenue depuis dix ans malgré ses entreprises de pointe, une économie stagnante, ralentie, vieillissante, à cause d’une bulle immobilière et boursière nourrie par les grandes banques irresponsables, entretenue par un système politique corrompu, bulle qui en éclatant à irrémédiablement endommagée l’économie réelle. La purge de la folie bancaire dans les pays occidentaux risque d’être aussi douloureuse. Et les dirigeants des grandes banques pourraient se poser la question de leur rôle, de leur responsabilité et de leur légitimité face à la crise engendrée par leur folie. « Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre » disait Homère. La nemesis de nos économies risque bien d’être l’obsession du court terme et l’avidité sans bornes des grandes banques occidentales…

mardi 2 septembre 2008

L’heure de la récession a sonné.

Début 2008, dans une contribution au 11° blog, je prévoyais une forte récession pour 2008. Avec deux dommages collatéraux : une baisse brutale de la Bourse et de l’immobilier. Depuis, quelques ministres ou économistes adeptes de la méthode Coué et à côté de leurs pompes ont à plusieurs reprises prévu une croissance à peine ralentie. Un économiste connu, expert des plateaux radios et des interviews de presse, a même en Mars 2008, prévu que la Bourse de Paris allait remonter vigoureusement pour retrouver allégrement les 6000 points. Il est dommage qu’on ne puisse mettre à l’amende ces imbéciles, ils seraient tous SDF…

Eté 2008, la récession est là : en Allemagne, en Italie, en Espagne, le PNB a baissé pendant un trimestre. L’immobilier s’effrite en Angleterre, en Espagne, en France. Les bourses européennes, asiatiques, américaines (à l’exception du Brésil) ont subi un brutal ajustement.
Pendant ce temps, les responsables d’un grand parti d’opposition français se chamaillent comme à la maternelle. Et les dirigeants d’un grand parti au pouvoir, retrouvant les méthodes des Indiens au XIX°, pensent qu’avec des incantations et des yakas la croissance reviendra.

Sans vouloir jouer les cassandres, nous ne sommes pourtant peut-être qu’aux prémisses d’une vraie récession, pour quatre raisons :

- le système financier est loin d’être purgé de ses excès. Les quatre cent milliards de dollars de provisions passées par les banques sur des prêts douteux et imprudents sont loin d’avoir nettoyé les écuries d’Augias. Au-delà des subprimes, toute une série de prêts immobiliers, de prêts à la consommation, de prêts à des fonds de private equity, à des hedge funds, de prêts à des entreprises, tous irresponsables, très risqués, motivés par l’attrait du gain immédiat et des commissions et bonus aberrants, vont exploser à la figure des banques. Il reste entre cinq cent et mille milliards de dollars à provisionner. Les banques sont une file d’acrobates encordés sur un fil instable, et, au-delà de Northern Rock ou de Fannie Mae, d’autres chutes sont probables avec un risque systémique de catastrophes en chaîne.
Ces banques tétanisées par le spectre de la faillite, lapins imprudents dans la lumière des phares de la réalité, vont, même si elles survivent, aller comme d’habitude trop loin dans le sens inverse de la prudence et du conservatisme. Après l’orgie, l’anorexie. Les prêts seront de plus en plus difficiles à obtenir, de plus en plus coûteux. Or ces prêts étaient l’un des moteurs essentiels de la croissance à crédit des économies occidentales depuis le début du siècle. Ce moteur est cassé.

- les abyssaux déséquilibres américains, celui du budget et celui de la balance commerciale, sont plus profonds que jamais. La délétère et unilatérale guerre d’Irak, qui a vu les Etats-Unis attaquer et occuper un état souverain sans blanc-seing de l’ONU (qui sont-ils pour demander le respect de l’intégrité territoriale Georgienne !), a couté entre 600 et 1000 milliards de dollars, enrichissant Cheyney et Bush par Haliburton interposé, mais plombant massivement le budget américain et lui enlevant toute marge de manœuvre pour une relance effective. Ce gaspillage massif a créé un déséquilibre économique insupportable, sans création de richesse ou développement de l’offre. Au même moment, les banques américaines prêtaient massivement aux Américains pour leur permettre de consommer à crédit, et ceux-ci achetaient des produits fabriqués plus compétitivement à l’extérieur, notamment en Chine, nourrissant ainsi la croissance chinoise ou coréenne et créant un massif déficit de la balance commerciale américaine. Ce déficit insupportable qui aurait dû se traduire par un effondrement du dollar à deux dollars l’euro n’a été amorti que par les achats tout aussi massifs de dollars par les pays excédentaires comme la Chine. La croissance mondiale a ainsi été nourrie par la folie du gouvernement et des banques américaines, et facilitée par la stratégie astucieuse de la Chine et des pays excédentaires, mais l’heure des comptes a sonné et la récession est le seul remède plausible à ces déséquilibres fous.

- les prix des matières premières, qui avaient augmenté de façon vertigineuse, déclenchant une inflation malsaine et entamant le pouvoir d’achat des ménages, ont reculé mais restent à des niveaux très élevés. Pour un retour à des niveaux qui ne soient plus absurdes, la croissance doit être stoppée non seulement dans les vieux pays développés, comme les Etats-Unis mais aussi dans les nouveaux pays riches comme la Chine. Si tous les Chinois consommaient autant d’essence et de viande qu’un Américain, le prix du pétrole serait à 500 dollars le baril et le steak à 100 euros le kilo. Seule la croissance dans les secteurs comme les télécoms, les media, les énergies douces, les bio technologies, les protéines végétales bio, faibles consommatrices d’énergie et de matières premières, a un sens aujourd’hui. Tous les Chinois peuvent avoir un portable (ils sont déjà quatre cent millions à en avoir un). Tous ne peuvent avoir une voiture individuelle à moteur à explosion. La récession est une nécessité pour retrouver des niveaux de prix supportables et une croissance dont la structure soit saine et soutenable. Le prix des matières premières reste ainsi une barrière majeure à la croissance telle que nous l’avons connue depuis dix ans.

- les entreprises ont aujourd’hui un pouvoir de prix considérable, lié au recul de la régulation publique des prix et de la concurrence. Un libéralisme mal compris, qui n’est en fait qu’une soumission au lobby des grandes entreprises, a conduit à un laisser faire antilibéral, dans lequel des monopoles ou des oligopoles se sont tranquillement constitués ou renforcés et ont abusé de façon éhontée de leur pouvoir de prix. Les hausses des prix des matières premières se sont traduites de façon systématique, dans le pétrole, le gaz, l’électricité, ou l’acier, par une hausse des profits des entreprises de transformation ou de distribution. Ces entreprises ont profité de ces hausses pour faire plus que répercuter dans leurs prix l’augmentation de leurs coûts. Le prix du gaz en France, par une complicité assez médiocre entre Bercy et GDF, a subi trois hausses en 2008, sous le prétexte des hausses des prix de l’énergie, permettant aux profits de GDF d’exploser… Certains grands de l’agroalimentaire ou de la distribution ont eux aussi de façon assez sournoise, en se renvoyant la balle, utilisé leur pouvoir de prix pour racketter le consommateur de base. D’où une baisse très douloureuse du pouvoir d’achat des ménages, de Djakarta à Stockholm, amputé à la fois par l’augmentation du coût des produits de base et par les prélèvements de ces prédateurs, qui va se traduire par une baisse de la consommation donc de la croissance.

Le cumul de ces quatre phénomènes : effondrement du système financier mondial, déséquilibre insupportable de l’économie américaine, croissance irraisonnée et bouffeuse de matières premières, et pouvoir de prix croissant de beaucoup de grandes entreprises, devrait conduire in fine à une récession de grande ampleur dont nous ne voyons que les prémices aujourd’hui, et qui se traduira par une baisse sensible du profit des entreprises, par une montée du chômage et par une déflation du prix des actifs immobiliers et financiers et donc d’une partie de l’épargne.

Comme je l’avais dit dans mon blog précédent (Vive la récession), cette récession n’est pas une maladie mais un remède, le remède qu’impose la réalité pour nous guérir de nos excès du début du siècle. Le seul problème de ce remède c’est que sont punis les petits, les plus pauvres, les humbles, les sans grades, tandis que les « fat cats » responsables de la Bérézina actuelle, hommes politiques couchés devant les grandes entreprises, dirigeants de grandes entreprises ou de banques gavés de bonus et d’options, toute cette élite dévoyée, a accumulé assez de capital pour être à peine effleurée par l’aile noire de la récession. Dans les récessions, comme dans les guerres, la piétaille paye les erreurs ou la corruption des élites.

Une récession n’est jamais éternelle. Nous sortirons un jour de cette récession comme des autres, mais une sortie rapide et supportable, différente de la sortie de la crise de 1929 (la II° guerre mondiale) implique préalablement un « aggiornamento » politique, une remise en cause du système de production, de reproduction, et de comportement des élites dans tous les pays développés. Un « new deal » politique, conduisant à une « nouvelle société », combinant – on peut rêver - une protection sociale forte pour épargner aux plus fragiles les effets collatéraux de la crise qui s’annonce et corriger une inégalité de plus en plus insupportable, un vrai libéralisme économique créant une concurrence saine et active et donnant un vrai pouvoir aux consommateurs, une régulation ferme des monopoles naturels pour mettre fin à leur racket, une moralisation de la politique et de l’économie pour éviter le jeu des lobbies et de la corruption rampante, et un budget articulé sur les dépenses créatrices de richesse et non sur les subventions ou la protection des gueulards ou des rentiers.

Malheureusement, dans le monde, peu de partis semblent capables d’aller au-delà de l’ambition personnelle de leurs dirigeants et du pouvoir pour le pouvoir. En France ni le PS, lieu d’affrontement de nains décérébrés, ni l’UMP, complice éhontée des puissants, ne sont aujourd’hui capables d’enfanter cette nouvelle société. Alors qui se lèvera pour la proposer à des peuples désenchantés ?