lundi 25 octobre 2010

Guerre des monnaies : halte à la triche



Les gouvernements occidentaux ont tenté désespérément de surmonter la récession de 2009 en utilisant simultanément l’arme du déficit (Keynes) et celle de la création monétaire (Friedman). Les déficits ont été stupéfiants, montant jusqu’à 8/10% du PNB en Grèce, en Espagne, en Angleterre et en France. La création monétaire a roulé à tombeau ouvert, les banques centrales prêtant de façon quasi illimitée à des taux voisins de zéro.

Cet effort monumental a peut-être évité la récession, mais en 2010 la croissance reste en panne. Avec une conséquence dramatique : l’endettement colossal résultant des déficits ne pouvant se résorber par la croissance, il ne peut l’être que par la réduction des dépenses publiques et la hausse des impôts. Cette rigueur, en étouffant une croissance déjà molle, pourrait déclencher un cercle vicieux dramatique.

La solution trouvée par l'Angleterre de Cameron consiste à coupler rigueur budgétaire et laxisme monétaire, en espérant que le second compensera le premier. Mais le Japon a pendant dix ans combiné l'un et l'autre sans faire repartir la croissance. Alors l'un sans l'autre...

L’erreur des états est d’oublier, dans leurs frénétiques mouvements de noyés, deux nouveautés qui bloquent la croissance occidentale : la globalisation de l’économie mondiale et la stratégie des multinationales.

La mondialisation, permise par un libre-échange exacerbé et la baisse des coûts de transport et d’information, mets en concurrence tous les pays du monde pour la production de biens ou de services. Elle a été instrumentalisée par certains pays comme la Chine pour se doter d’un avantage absolu et d’excédents commerciaux structurels. Depuis dix ans, pour 1 € vendu à la Chine, nous lui achetons 3 €. La Chine a ainsi aspiré notre industrie et nos devises sans rien donner en échange. La croissance Chinoise cannibalise d’autant plus la nôtre qu’elle a pour effet secondaire de faire grimper au ciel le prix des matières premières, facteur aggravant de stagnation. Autant un déficit ou un excédent temporaires sont acceptables, autant l'excédent massif Chinois depuis plus de dix ans est un facteur de déstabilisation de l'économie mondiale.

Les multinationales comme Nike, Apple ou IBM ou les grands distributeurs comme Carrefour ou Wal Mart ont accéléré et structuré la mondialisation en délocalisant massivement leur production ou leurs achats, écrasant leurs coûts et gonflant leurs marges grâce à la sous évaluation des monnaies et au moins disant social systématique de leurs fournisseurs. Apple est un cas d'école avec les centaines de milliers d'ouvriers chinois qui travaillent...a faire grimper au ciel ses profits.

Résultat : quand nous injectons des revenus ou des liquidités en Europe ou aux Etats-Unis, nous créons de la croissance et des emplois…en Asie, et spécialement en Chine. Keynes et Friedman ont toujours raison, mais au niveau mondial. Les déficits budgétaires et le laxisme monétaire des uns créent des emplois chez les autres….L’occident est devenu le dindon de la mondialisation.

A la croissance énergiques des pays « émergés » réponds ainsi notre stagnation, tristement semblable à celle du Japon, qui a connu dix ans de non-croissance, malgré des taux zéro, des déficits déments et un endettement record.

Si le seul levier qu'utilisent les états occidentaux pour sortir de la nasse est le laxisme monétaire, on peut prévoir de longues années de croissance nulle ou faible, de chômage persistant, de déclin du pouvoir d'achat, de longues années de malheur économique. L'optimisme arrogant de Ben Bernanke, président de la réserve fédérale américaine, convaincu qu'il vaincra la stagnation américaine à coup d'intérêt zéro et de création monétaire est démenti par la multiplication des saisies immobilières ou les destructions d'emplois que ses outils monétaires sont impuissants à enrayer.

Pour redonner de la traction aux politiques budgétaires et monétaires, une forte baisse de l’euro (1€=1$ ?) serait nécessaire. Mais sous les coup de boutoirs des Etats-Unis, cherchant désespérément à faire baisser le dollar pour rendre leurs exportations compétitives, accompagnés dans la dévaluation par la Chine qui verrouille le yuan au dollar, c'est l'inverse qui se produit. L'euro est à 1.40 dollars en Octobre 2010.

La situation est d'autant plus dramatique que même un euro à un dollar ne serait pas suffisant pour relancer les économies européennes à court terme, à cause des rigidités structurelles créées par vingt ans de mondialisation. Un euro durablement à parité avec le dollar, et un yuan déprécié de 50% par rapport au même dollar ne permettraient à la croissance européenne de repartir fortement que dans quelques années.

A la fois pour retrouver de la croissance à court terme et pour se placer en position de force par rapport aux pays comme la Chine qui pratiquent un dumping de leur monnaie, une seule solution : un protectionnisme intelligent mais ferme.Réduire les exportations excessives de ces pays excédentaires permettrait sans les mettre à genou de revenir à une situation normale : celle de l’équilibre des balances commerciales.

Les entreprises délocalisatrices râleront devant la baisse de leurs rentes, mais ces aboiements sont un faible prix à payer pour sortir d’une crise sans fin en supprimant le côté obscur de la mondialisation : le dumping sur la valeur des devises. Le protectionnisme ne conduira pas à l'inflation car la délocalisation sers plus à augmenter les marges qu'à diminuer les prix. Et même si le prix des jouets en plastique augmentait,est ce un drame si cela conduit à acheter des jouets en bois produits en Europe?

Les autres aboyeurs de service seront les intégristes de l'anti-protectionnisme. Ceux-là répètent comme une mantra, sans réflexion mais par réflexe : le protectionnisme c'est le mal, le libre échange c'est le bien. Et pourtant Adam Smith, le théoricien du libre-échange, se serait indigné devant l'excédent permanent et massif Chinois, lui qui pensait que les balances commerciales devaient être équilibrées, chaque pays se spécialisanten fonction de ses avantages comparatifs. La sous évaluation systématique du Yuan lui serait apparu comme un obstacle au libre échange, qui est menacé aussi bien par le protectionnisme que par le dumping.

Monsieur Pascal Lamy, qui dirige l'OMC fait preuve d'une curieuse partialité quand il proteste bruyamment au moindre soupçon de droit de douane ou de quota occidental , sans dire un mot sur les stratégies de sous-évaluation des devises qui créent des distorsions infiniment plus graves dans la compétition entre économies ou sur les obstacles massifs à l'importation qu'ont mis en place les pays comme la Chine.

Monsieur Trichet, passif devant la guerre des monnaies, et qui ne fait rien pour freiner la hausse de l'euro, clame que la tentation protectionniste est un danger mortel. Ce deux poids deux mesure est très étrange et laisse planer un doute sur la vision et l'analyse de ces sommités.

Le protectionnisme n'est pas un mal en soi s'il permets de rétablir un équilibre perturbé par le dumping décennal de la Chine, s'il permets sans créer d'inflation d'éviter la disparition programmée des derniers pans de l'industrie occidentale, comme l'automobile ou l'aéronautique, et s'il permets même de regagner légitimement du terrain dans des industries à l'agonie à cause de la concurrence Chinoise, comme le textile, le jouet, ou l'éclectronique grand public. Car même dans les industries capitalistiques, automatisées, la sous évaluation d'une devise donne un avantage indû au pays la pratiquant. Si une monnaie est sous-évalueé de 50% comme l'est la monnaie Chinoise, c'est non seulement le travail mais aussi le capital, toute la valeur ajoutée nationale, qui bénéficie d'un avantage de coût de 50% sur ses concurrents malchanceux...

Pour éviter la désindustrialisation complète de l'Europe, pour que la France ne devienne pas un pays de rillettes, de monuments et de tourisme sexuel, comme le prédit Houellebecq, il existe pourtant une solution : un protectionnisme au laser, dirigé directement vers les pays sous-évaluant leurs monnaies, un protectionnisme assez massif pour compenser la dite sous-évaluation, et un protectionnisme pan-eurpéen,barrant la route de l'Europe aux concurrents "tricheurs" mais conservant un total libre échange intra européen.

Mais pour cela les intégristes du libre-échange devront accepter de réfléchir. Le protectionnisme ce n'est pas tricher. C'est au contraire empêcher la triche.

lundi 18 octobre 2010

Aveuglement agricole

Monsieur Bruno Lemaire, ministre des agriculteurs, emboitant le pas de son président, Nicolas Sarkozy, a déclaré à la fin de l'été 2010 : l'agriculture ne doit pas suivre strictement les règles environnementales car elles sont au fond trop contraignantes.

Il remets notamment en cause la division par deux de l'emploi des pesticides à moyen terme, prévue dans le Grenelle de l’environnement.

Monsieur Lemaire est un haut fonctionnaire de talent, mais la gestion d’entreprise ne semble pas faire partie des facettes de son expérience et de sa compétence.

Or une exploitation agricole est une entreprise, avec des recettes et des coûts, ou plus techniquement des extrants et des intrants. Parmi ces couts, ceux des semences, du matériel, de l'essence, des engrais et des produits phytosanitaires. La consommation d'engrais, d'aliments pour bétail et de pesticides ayant fortement augmenté depuis une vingtaine d'années, les comptes d'exploitation des agriculteurs ont été plombés. Par ailleurs une absurde course à la puissance a conduit à l'achat de tracteurs de plus en plus gros, voraces en énergie

L'enjeu pour les agriculteurs, dont les revenus nets sont en baisse, est à la fois de maintenir leurs prix de ventes mutilés par les distributeurs et la concurrence étrangère, et de diminuer leurs coûts.

Une des méthodes les plus efficaces pour diminuer les coûts est d'aller vers une agriculture plus raisonnée, employant moins de pesticides et d'engrais, et moins de compléments alimentaires coûteux. Ce qui permet par ailleurs en même temps d'aller vers la qualité, c'est à dire vers des produits moins truffés de pesticides ou d’hormones. Les progrès technologiques récent, notamment dans les logiciels et la géolocalisation, permettent de le faire sans diminution innaceptable des rendements.

Il peut y avoir convergence entre l’intérêt des agriculteurs et ceux de l’environnement. Par exemple le labourage de surface, permet d’utiliser des tracteurs moins voraces que les engins classiques tout en donnant de très bon rendements et en limitant les risques d’érosion du sol. De même la baisse de l’emploi de pesticides est à la fois bon pour l’environnement et pour les comptes des agriculteurs. Cette baisse réduit également le risque pour la santé des agriculteurs, de plus en plus menacée par l’emploi excessif de ces produits.

Les grandes entreprises industrielles de la chimie peuvent s'adapter à cette nouvelle donne, en développant des produits plus efficaces, non polluant et sans risque sanitaire. Elle doivent cesser de pousser à une surconsommation coûteuse et polluante. Cela ne veut pas dire aller vers les OGM: celles-ci qui devaient diminuer l'utilisation de produits nuisibles, bloquent au contraire les agriculteurs dans un type unique de pesticides dont le prix augmente et l'efficacité diminue, comme le roundup utilisé en couple avec les OGM "Roundup Ready".

Ces grandes entreprises industrielles sont des lobbies puissants aux poches profondes, qui peuvent mobiliser experts, contacts, media. La FNSEA, qui représente prioritairement les grands céréaliers, et qui dispose d’un étrange monopole de la représentation paysanne, est directement influencée par ces lobbies dont elle sert les intérêts. C'est la voix de ces groupes de pression qu'a semble t'il entendu le ministre de l'Agriculture.

Les grands semenciers ont par exemple réussi à interdire aux agriculteurs d’utiliser des semences non référencées au "Catalogue" (leur catalogue, en fait), même si ces semences sont millénaires et correspondent à des variétés d’un fort intérêt d’un point de vue diversité et gustatif.

Le vrai problème de l'agriculture française est d'être coincée entre certains grands industriels de l'amont, au pouvoir d’influence important , et les grands distributeurs de l'aval qui abusent de leur position dominante pour bloquer les prix et acheter a l'étranger au moindre différentiel de prix. C'est à cela que devrait peut-être s'attaquer Monsieur Lemaire, plutôt qu'au Grenelle de l'environnement.

Faute de connaissance réelle de ce qu’est une exploitation agricole, Bruno Lemaire ne se bat pas pour les tous les agriculteurs, mais pour un minorité d'entre eux, et pour certains grands industriels. L’INRA, un des centres de recherche sur l’agriculture les plus performants au monde, est d’ailleurs…en désaccord avec son ministre sur cette question de la réduction des pesticides.

Quant on évoque le nom de Bruno Lemaire comme premier ministre, on peut s'interroger : va t'il reproduire au niveau national le manque de discernement dont il semble faire preuve par rapport au monde agricole? Et reproduire au détriment des PME de l'industrie et des services une politique au fond défavorable aux exploitations agricoles petites et moyennes?