vendredi 20 février 2009

Le culte du veau d'or

La crise financière et économique que nous vivons aujourd'hui est le symptôme d’une maladie sociétale : l’obsession pour l’argent.
Elle aura peut-être comme résultat salutaire de nous guérir de cette monomanie.

La fin de la guerre froide, à la fin des années 70, n’a guère fait progresser la démocratie, mais a permis aux Etats-Unis de répandre dans le monde entier leur culte de l’argent. Dans nos pays démocratiques et développés, l’argent est, en trente ans, devenue la valeur dominante. Après avoir été méprisé ou honni jusqu’au début des années 70, ou la Rolls était l’apogée de la ringardise, le « fric » s’est imposé. Aux Etats-Unis, en Europe, mais aussi en Chine et en Russie, des fortunes colossales réalisées par des financiers, des oligarques ou d’ex cadres du parti, ont imposé deux principes : la première qu’il était possible, avec beaucoup d’entregent et un peu de chance, à défaut de compétence, de devenir milliardaire. La seconde, que la véritable hiérarchie était celle de l’argent. Plus on « vaut », plus on vaut. Achetant pêle-mêle club de foot, chalet à Courchevel, maison à Londres, yachts géants, chacun valant plusieurs dizaines de millions d’euros, glamourisés dans tous les journaux people, les milliardaires ont remplacés les « best et brightest » au sommet de la pyramide sociale.

Dans le monde entier, les salaires des PDG ont augmenté à une vitesse fulgurante, passant de quelques centaines de milliers de francs à des millions d’euros. Il ya trente ans, un PDG avait de quoi bien vivre. Aujourd'hui il fait fortune. La feuille de paie du PDG de Peugeot, Calvet, à deux millions de francs, choquait sous Giscard. Son successeur gagne dix fois plus. Michel Bon, PDG de France télécom dans les années 90, gagnait cent vingt mille euros par an. Aujourd’hui les PDG des grandes entreprises françaises gagnent en moyenne trois millions d’euros par an, soit cent cinquante fois le Smic. N’importe quel PDG de grand groupe amasse quelques dizaines de millions d’euros de patrimoine, quelle que soit sa compétence. Le salaire d’un PDG est lié à un statut et non à une performance. Le PDG de General Motors, Rick Wagoner, qui en dix ans à conduit son entreprise au bord de la faillite, et qui implore des aides de l’état, a gagné en 2008…17 millions de dollars. Celui de Goldman Sachs, en perdition, 60 millions de dollars. Des chiffres choquants qui ne choquent plus…

Les cadres dirigeants des grandes entreprises ont ainsi réussi à s’approprier une part croissante de la valeur ajoutée, par rapport aux actionnaires et aux autres salariés. Le domaine ou cette appropriation a été la plus phénoménale est la finance : en 2008, le secteur financier américain en déroute a payé 20 milliard de dollars de bonus a ses dirigeants…Royal Bank of Scotland, après avoir perdu plus de vingt milliards d’euros, un record, a proposé de distribuer… deux milliards d’euros de bonus à ses dirigeants…

D’autres fortunes très importantes ont été réalisées dans la finance : par exemple dans le trading, qui consiste à spéculer ou à arbitrer sur les mouvements boursiers ou financiers, ou dans le private equity, qui consiste à racheter des entreprises avec de l’argent prêté par des banques, tout en gardant l’essentiel de la plus value de revente. L’effet de levier a permis à des dizaines de nouveaux « high net worth individuals» d’éclore.

Après la finance, le sport : les revenus des sportifs ont été multiplié par cent et trente ans, et la hiérarchie sportive a finit par se confondre avec la hiérarchie de l’argent. La qualité d’un sportif est mesurée par son salaire mensuel et à moins de cent mille euros par mois on est un loser.

L’entrée de l’Inde, du Brésil, de la Russie, et surtout de la Chine dans l’économie de marché a mondialisé ce culte de l’argent. Dans tous les pays du monde une classe de riches, heureusement parfois entrepreneurs, malheureusement souvent profiteurs directs ou indirects d’état plus ou moins honnêtes, s’est développée. La mondialisation ayant pour effet de bloquer les salaires des employés ou des ouvriers dans les pays dits développés, sans les relever fortement dans les pays émergents, les inégalités ont explosé.

Individuellement, financiers, PDG ou sportifs ne sont ni responsables ni coupables de cet enrichissement phénoménal. Ils ne sont qu’un symptôme d’une dérive dangereuse pour la société. Le développement très rapide d’une classe d’assez riches (plus de dix millions d’euros de patrimoine), de riches (plus de cent millions d’euros) et d’ultra riches (plus de un milliard d’euros), et un renforcement brutal des inégalités, sont à la fois la cause et la conséquence d’un véritable culte du veau d’or mondial. L’argent est devenu la valeur dominante, le critère principal de classement social. Un pauvre est devenu un con, un riche un génie. Un financier enrichi peut regarder de haut un nobélisable payé trois fois le Smic. La fracture entre riche et pauvres est devenue totale. L’argent est devenu une fin en soi, puisque au-delà de ce qu’il permet d’acquérir, il est la clé du positionnement social. Il n’y a plus de héros. Il y a des riches. Armstrong n’est plus un sportif, mais une marque. Comme le remarquait finement l’ancêtre bronzé de la publicité, Jacues Séguéla : « Enfin, tout le monde a une Rolex. A cinquante and, si on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ».

Cette contamination de toute la société par l’argent, devenu valeur dominante et objectif prioritaire, est une des causes de la crise actuelle. Pour de l’argent, des financiers ont coulé le système qui les nourrissait et ruiné des millions d’individus. Madoff et Kerviel ne sont pas des coupables, mais des conséquences. Pour de l’argent, les banques américaines ont prêté massivement à des emprunteurs qu’elles savaient insolvables, les ruinant et se ruinant. Pour de l’argent, de grandes entreprises ont menti, pollué, licencié, tué. Des entreprises pharmaceutiques ont sorti, en s’appuyant sur des médecins complices, des produits sans valeur thérapeutique mais aux effets secondaires meurtriers. Des entreprises ont licenciés des ouvriers à l’expérience et au talent unique pour augmenter d’un ou de deux pour cent leur marge, créant à la fois un désastre social et une impasse industrielle. Le surendettement massif des consommateurs et la délocalisation forcenée vers l’Asie, viennent du culte de l’argent, de la volonté psychotique d’augmenter à tout prix les profits et les bonus à court terme. Le profit n’est plus la mesure du succès de l’entreprise, de sa contribution à la société. Il est devenu une fin en soi.

L’argent a tout contaminé. Les plus riches se paient des lobbyists de plus en plus efficaces pour influencer des hommes politiques de plus en plus sensibles à l’odeur des « commissions ». Le nombre de lobbyistes a décuplé en dix ans à Washington. Le sénat et la chambre des députés en France sont devenus des repaires de défenseurs d’intérêts particuliers, comme quand le président de l’assemblée nationale est monté au créneau pour défendre…les OGM de Monsanto, multinationale américaine prélevant sa dîme sur la paysannerie et l’environnement. Les classes les plus riches ont réussi, aux Etats-Unis comme en France, a faire diminuer voir supprimer leurs impôts, en convaincant les gouvernants, de Bush à Sarkozy, que payer moins d’impôts ou conserver des niches fiscales était favorable à l’économie.

Cette pollution par l’argent-roi a été amplifiée par des media mettant en valeur les réussites financières sans s’interroger sur leur utilité sociale. Elle a été légitimée par le comportement des dirigeants politiques. Des lords travaillistes nommés par Tony Blair ont ouvertement monnayés le dépôt d’amendements favorables à de grandes entreprises. Le Président de la république française, Nicolas Sarkozy, homme politique ambitieux et actif, voulant faire bouger les lignes, semble lui aussi avoir été emporté par cette vague d’argent-roi : remettant la légion d’honneur à un homme d’affaires, il lui a dit: « bravo et j’espère qu’un jour je serai aussi riche que vous ». Bernard Kouchner, le French Doctor, héros et héraut de l’humanitaire, est devenu un être non pas malhonnête mais semble-t-il cupide, payé par des multinationales ou par des kleptocrates africains pour des missions incertaines. Rachida Tati a paru résumer son ascension politique par les marques de ses vêtements et le patrimoine de ses amis. La cupidité est ainsi devenue la norme: la génération actuelle des enfants de la bourgeoisie est imprégnée de la valeur-argent, et confonds de plus en plus valeur humaine et richesse, morale et marques. En 1968 la jeunesse pensait à dépasser le matérialisme ambiant. En 2008, elle se demande comment se payer un blackberry.

Cette évolution rappelle la fin de l’empire romain, la fin XVIII° en France, la fin du XIX° en Europe. L’obsession pour l’argent devenu valeur dominante, avant l’intégrité, la loyauté ou l’honnêteté, risque de mener à la décadence, à la révolution, ou à la guerre. Elle mène à coup sûr à la folie des financiers, au cynisme des industriels, à la corruption des politiques. Elle étouffe l’économie de marché sous les rentes de monopoles. Elle fait de la mondialisation un champ de ruines industrielles. Les émeutes en Guadeloupe, territoire malmené par quelques monopoles dans l’énergie ou la distribution, blessé par un octroi médiéval que les politiques veulent conserver pour ses recettes, combinant rente de situation et assistanat, sont des alertes sur notre avenir si nous ne renversons pas la dérive vers le tout-argent…

La plaie de l’argent-roi risque de conduire, en un mouvement de balancier extrême, vers une remise en cause aveugle du système capitaliste et de l’économie de marché et de ses aspects les plus positifs : l’argent récompensant le succès d’un entrepreneur ou d’un manager, l’argent permettant d’investir, l’argent comme huile indispensable des rouages économiques, l’argent comme guide des décisions ou des allocations de ressources favorables au consommateur.

Notre planète ne forme maintenant qu’un grand système économique intégré ; elle ne retrouvera harmonie sociale et développement économique sain que si le culte du veau d’or est aboli. « Il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux que pour un chameau de passer le chas d’une aiguille.. » : l’argent donne des responsabilités autant que des droits. Garder le cadre de l’économie de marché mais la purger de ses dérives de type mondialisation forcenée, dumping, monopoles, cartels, lobbysme cynique. Avoir des entreprises dont l’intérêt se confond avec celui de la société, qui comptabilisent les externalités (pollution etc.) qu’elles créent, qui ne mentent pas à leurs clients, ni n’utilisent leur position de force pour les racketter. Avoir des riches mais de riches entrepreneurs, dirigeants, ou investisseurs, utiles à la société, grâce à la qualité et à l’utilité des produits et des services des entreprises qu’ils fondent, dirigent, ou financent. Retrouver une échelle de salaires raisonnable. Obama sera peut-être le prophète de cette nouvelle société. Quand il a limité à 500 000 dollars le salaire des PDG aidés par l’état, il voulait dire à la société, à l’immense majorité de ceux qui gagnent 50 000 dollars par an que l’argent n’est pas tout, qu’il ne faut pas faire n’importe quoi pour de l’argent, que les organismes publics ou les entreprises ne sont pas des coffre forts qu’on peut dévaliser impunément, et qu’au-delà d’un certain multiple l’écart de salaires devient indécent et dangereux. La première mesure –symbolique- que pourrait prendre un gouvernement moderne, post-crise, pour montrer qu’il nous emmène vers une nouvelle société plus juste et plus harmonieuse serait ainsi de créer un salaire maximum… de dix fois le salaire minimum.



On peut rêver que les gouvernants, soudain éclairés comme Paul sur le chemin de Damas, comprennent qu’il y a des valeurs supérieures et prééminentes à l’argent, et que les promouvoir à travers leur exemplarité personnelle et leurs décisions politiques est l’une des clés de la nouvelle société qui émergera des décombres de la crise actuelle…