mardi 19 février 2008

Vive la récession, vive le protectionnisme !

Il peut paraître paradoxal pour un libéral convaincu, adepte de l’économie de marché et de la concurrence, de prôner la décroissance et les obstacles aux flux commerciaux. Mais nous risquons de payer le prix fort de notre obsession pour la croissance à tout crin et pour la liberté illimitée des échanges. Le prix du minerai de fer a triplé en quatre ans, le prix du pétrole triplé, le prix du blé plus que doublé. La croissance des dix dernières années est insoutenable : notre consommation de matières premières est telle que l’offre ne suit pas, ce qui fait exploser les prix et les rentes des producteurs, et attaque le niveau de vie des consommateurs finaux. C’est une inversion spectaculaire de la théorie selon laquelle les économies développées exploitaient les pays émergents : aujourd’hui, la croissance permet aux pays émergents de rançonner les pays développés. Notre croissance insoutenable a été provoquée par l’irresponsabilité des Etats-Unis, qui ont pompé du pouvoir d’achat artificiellement chez leurs consommateurs, en les gavant de prêts immobiliers, à la consommation, de cartes de crédit, en réduisant les impôts, pouvoir d’achat que les consommateurs américains ont utilisés pour acheter des produits…chinois, nourrissant sa croissance exceptionnelle, et dévoreuse de matières premières : pétrole, minerai de fer etc…Une insoutenable croissance mondiale provoquée par la conjonction d’un gouvernement gavé de déficits, d’un patron de la Federal reserve psychotique de la croissance, d’un système bancaire poussant le consommateur à la faute (et se tirant à terme une balle dans le pied, avec des centaines de milliards de write off).
Une seule solution : la récession. Pas une récession majeure, de type 1929, mais une récession mineure, de quelques %, qui permettent de freiner les chevaux emballés de l’économie mondiale, de calmer les hausses de prix des matières premières et qui écarte le risque de la destruction du pouvoir d’achat des plus pauvres, menacés par les hausses des produits de première nécessité…

Mais la récession va peser sur le chômage, va peser là encore sur les plus pauvres et les plus démunis, dirons les bonnes âmes. C’est vrai. Alors pour écarter les effets de la récession, il est indispensable de revenir au protectionnisme. La libéralisation des échanges a permis, dans le cadre de grandes firmes internationales comme Nike, Dell ou Mattel, de transférer des pans entiers de l’industrie des pays développés vers des pays à bas salaires. Mais alors, me direz vous, la bonne vieille théorie des avantages comparatifs chère à Adam Smith ne marcherait-elle plus ? Non elle ne marche plus, simplement parce que nous ne nous battons pas à armes égales avec des pays comme la Chine ou la Russie. Ces pays ont en effet inventé un nouveau modèle incroyablement efficace : la combinaison de gouvernement autoritaire avec l’économie de marché. Une combinaison beaucoup plus efficace que la combinaison démocratie/marché. Cela a permis à la Chine, malgré de molles pressions de l’Occident, en maintenant le Yuan tragiquement (pour nous) sous évalué, de détruire des secteurs de nos industries avec la complicité des grandes multinationales délocalisatrices, et d’accumuler des réserves de change de plus d’un trillion (mille milliards !) d’euros, lui permettant à terme de prendre le contrôle de ces multinationales qui ont fait sa fortune…Et contrairement à ce qui a été suggéré, les délocalisations profitent moins au consommateur final à travers des baisses de prix, qu’aux entreprises comme Nike grâce à des baisses de coûts et à un maintien de prix élevés. Pour rééquilibrer la balance commerciale chinoise, le Yuan devrait être réévalué de peut-être 100%, mais comme la Chine est trop intelligente pour le faire, il faut entourer l’Europe d’un cordon sanitaire de droits de douanes de…100%. Surtout pas de protectionnisme intra européen, mais un protectionnisme intercontinental. Ce protectionnisme bloquera les délocalisations vers les pays tiers à bas salaires à défaut de les bloquer vers les nouveaux pays européens à bas salaires, intégrés à l’Europe un peu rapidement, sans réflexion sur les conséquences intérieures… Ce protectionnisme permettra aussi peut-être de lever la chape de plomb qui pèse sur les bas salaires en France (en 2007 : +2 %), les entreprises ne pouvant plus agiter la menace du transfert d’activité pour discipliner leurs salariés. Ne lui en déplaise, le très socialiste monsieur Pascal Lamy, patron de l’OCI, contribue à la fracture sociale et à la désindustrialisation française.

Etre tétanisé par la récession et le protectionnisme, à cause de la crise de 1929, c’est être en retard d’une guerre. La situation de 2008 n’a rien à voir avec celle de l’entre-deux guerres. Une récession modérée et une protectionnisme régional sont les seuls outils permettant d’éviter aux économies faibles comme la France ou l’Italie d’aller dans le mur de la paupérisation, du gouffre social (les salaires des PDG ont augmenté de 40% en 2007…) et du chômage. Les multinationales devront s’adapter à cette nouvelle donne, mais le rôle d’une entreprise est de s’adapter à l’environnement défini par le politique, et non l’inverse.

lundi 11 février 2008

Nouvelle classe

Daniel Bouton, en tant que PDG de la Société Générale, devrait en principe assumer sa responsabilité et les erreurs commises sous son égide, comme les patrons démissionnaires ou démissionnés de Citybank, d’UBS ou de Merril Lynch. La plupart des banques ont été touchées par la crise de subprimes, victimes de leur avidité, de l’argent facile et d’une apparence trompeuse de risque faible encouragée par les agences de notation, coupables et complices. Les PDG démissionnaires sont ceux dont les banques été les plus lourdement touchées, à hauteur de plusieurs milliards d’euros, par cette erreur dans la gestion du risque. La Société Générale elle-même a annoncé avoir perdu deux milliard d’euros avec les subprimes, ce qui aurait été suffisant pour conduire Daniel Bouton à s’interroger sur sa légitimité.
Mais ce qui est arrivé à la Société Générale est infiniment plus grave que les subprimes, qui ne sont que la conséquence d’un risque mal apprécié. La Société Générale a perdu cinq milliard d’euros parce qu’un obscur courtier a pu déjouer des contrôles soit disant étanches et prendre pour cinquante milliards d’euros de positions non couvertes. Cinquante milliards d’euros, près de quatre cent milliards de francs. Le chiffre donne le vertige. Que ce soit possible est hallucinant. On se dit qu’après tout cela aurait pu être deux ou trois cent milliards d’euros, si d’autres courtiers avaient joués le même jeu. On se demande si d’autres banques auraient pu être coupables de la même erreur. Que ce soit arrivé est surréaliste. En dénouant ses positions, la banque a d’ailleurs provoqué une panique boursière en Europe. Devant une faute aussi colossale, Daniel Bouton aurait dû partir immédiatement.
Mais son refus de démissionner est compréhensible. Quand on gagne environ six millions d’euros par an entre salaire et stocks, soit environ mille SMIC, quand on bénéficie des réseaux, des clubs, des soirées ou l’on est au coude à coude avec ses pairs de l’establishment, quand on est envié par des députés ou des ministres, au fond moins hauts dans la hiérarchie sociale, il est très difficile d’abandonner volontairement autant d’argent et autant de prestige.
Et comme les administrateurs sont choisis par les PDG, soit venant de l’entreprise elle-même, soit amis ou obligés, soit eux-mêmes PDG et souhaitant le rester, la probabilité qu’ils démettent un président est très faible. Daniel Bouton aurait pu nous éviter la mascarade de la démission refusée par le conseil : ce fut un petit arrangement entre amis, un coup de théâtre destiné à nous faire croire qu’il avait réellement voulu partir alors qu’il s’agissait d’une tactique pour rester en poste malgré la tempête, en lâchant en apparence un peu de lest.
Daniel Bouton était il un bon PDG ? Si l’on en juge par les résultats de sa banque jusqu’en 2006, oui. A quel prix, en termes de service dégradé et de coûts inflatés pour ses clients, et surtout en termes de risques ? Le problème n’est au fond pas là. Son refus tout à fait logique de démissionner montre qu’en une quarantaine d’années est apparu une véritable caste, indépendante des actionnaires dispersés et impuissants, capable de fixer elle-même le niveau de sa rémunération en augmentation rapide, s’appuyant sur des conseils d’administration amicaux et complices, prestigieuse et dominante, et surtout inamovible : la nouvelle caste des patrons de grande entreprises.